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J’ai vu la tribune aux harangues. Je me suis trouvé incapable d’y ressusciter Démosthène. Le contact des objets et la vue de ce petit canton hellénique, loin de servir mon imagination, la gênent, la désorientent. L’hellénisme, pour nous autres bacheliers, c’est un Olympe, un ciel, le pays des abstractions académiques. Nul moyen de camper, sous ce beau ciel, mon Démosthène des classes, qui était un type vague, un pâle esclave des professeurs. Au contraire, sans nul effort et presque malgré moi, je vois sur cette pierre, à la fois fat et généreux, Alphonse de Lamartine, tel qu’il s’y complut un soir d’août 1832, à comparer le sort de l’orateur avec le sort du poète. Il se promettait de réunir leurs deux destinées : « Hélas ! disait-il, les hommes, jaloux de toute prééminence, n’accordent jamais deux puissances à une même tête. » Avidité d’une âme ardente à la vie ! Sur le tard, Lamartine paya cette vaine gloire de sa jeunesse. « Pourquoi ai-je réveillé l’écho qui dormait si bien dans les bois paternels ? Il me poursuit maintenant que je voudrais dormir à mon tour. » On apprécie toutes les nuances d’une telle vie, et l’on aime Lamartine ; mais ses malheurs font à Démosthène une draperie de théâtre, aussi belle qu’indifférente.

Dans cette saison où les cerisiers en fleur atténuent les rocailles, j’ai tenté quelques courtes promenades. J’aurais voulu retrouver à Keratea cette cabane d’Albanais où M. de Chateaubriand crut mourir de la fièvre ; dans son délire, il chantait la chanson de Henri IV, il regrettait son ouvrage interrompu et Mme de N…, tandis qu’une jeune indifférente, de dix-sept ans et pieds nus, vaquait à ses travaux dans la pièce.

Je me suis promené sous les oliviers peu nombreux de Colone. Depuis longtemps, je m’étais promis d’y murmurer comme une formule magique le couplet de Sophocle : « Étranger, te voici dans une contrée célèbre par ses chevaux et le meilleur séjour qui soit sur la terre, c’est le sol du blanc Colone. Les rossignols font entendre leurs plaintes mélodieuses dans ces bois sacrés, impénétrables à la lumière ; les arbres chargés de fruits y sont respectés des orages, et dans ses fortes allégresses, Bacchus aime de promener ici le cortège de ses divines nourrices. Chaque jour, la rosée du ciel y fait fleurir le narcisse aux belles grappes et le safran doré, couronne antique des deux grandes déesses. La source du Céphise y verse à flots pressés une onde qui ne dort jamais… » La présence réelle des oliviers,