Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/267

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
un voyage à sparte.

des grèves où devrait couler la rivière et des pures montagnes d’Athènes, n’ajoutait rien à la force de Sophocle, mais plutôt me communiquait la tristesse d’une déception.

On me conseilla d’aller voir les danses qui, chaque année, le jour de Pâques, se déroulent en feston sur la colline aride de Mégare. Elles commémorent, dit-on, les exploits de Thésée et cherchent à figurer les replis du Minotaure.

À une heure et demie d’Athènes (par le chemin de fer de Corinthe), en face de l’île de Salamine, la misérable Mégare, d’aspect tout oriental, resserre six mille âmes dans des maisons blanches pareilles à des cubes de plâtre. Nous nous assîmes au café, sur l’antique Agora. Quel ennui de décrire ce rassemblement ! Le député portant beau, fumant et riant, distribuait des poignées de main à des hommes en fustanelle. Des vendeurs ambulans criaient et offraient des pistaches ou de la menthe. Des petites filles en costumes locaux s’approchèrent de nos tables. Plusieurs avaient de beaux yeux ; leur misère donnait à toutes une grâce florentine. Elles nous regardaient sans bouger. Au moindre geste, fût-ce si nous prenions nos verres, elles tressaillaient, tortillaient leurs doigts, cachaient leurs cheveux. Vous aurez idée de cette délicatesse par les oiseaux de nos jardins publics qui s’apprivoisent si l’on ne bouge pas. Aucune ne mendiait ; elles prirent seulement quelques pastilles de menthe avec des petits doigts si durs que je crus sentir dans le creux de ma main les coups de bec d’une poule.

La fête commença. Toutes les femmes de Mégare, jeunes ou vieilles, formaient d’étranges lignes de danse, de marche, plutôt, conduites par un musicien. Sous le vaste soleil, les couleurs franches de leurs costumes traditionnels donnaient à l’œil un plaisir net. Ni les tons, ni les gestes ne se brouillaient. Ces femmes faisaient trois pas en avant, deux pas en arrière, soutenues par ces lentes mélopées que nous appelons orientales. En vain attendait-on, il n’y avait à voir que ce remuement de leurs pieds et puis certaines manières incessamment variées d’enlacer leurs mains, cependant qu’un public mal discipliné encombrait tout le terrain.

Cette danse a quelque chose de religieux, de simple et de grave. On la nomme, je crois, tratta. Il est difficile de dégager l’impression qu’elle communique. Est-ce un néant d’intérêt ? ou bien notre goût, émoussé comme celui des lecteurs de romans forcenés, ne sait-il plus apprécier des effets délicats ?