Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hordes vagabondes où ils prédominaient naguère. L’Allemagne industrielle offre aujourd’hui du travail à tous les bras, du pain à tous ses fils ; l’Allemand n’émigre plus. Fait considérable, gros de conséquences pour l’ancien monde, pour le nouveau. Le caractère ethnique du peuple américain, tel que l’avait constitué le principal apport de l’Europe, sera-t-il modifié dorénavant par la substitution de l’élément slave à l’élément germanique ?

Le léviathan nous reçoit dans ses flancs. Leur ampleur et leur aménagement font que l’on y perd la sensation de la mer ambiante. L’élévation du hall, la distribution de ces salons, fumoirs, cafés, bars, billards, salles de gymnastique, bureaux de poste et de télégraphie sans fils, tout donne au passager l’illusion qu’il habite encore un grand hôtel en terre ferme. Faciliter à une clientèle de luxe la continuation de ses habitudes, deviner et satisfaire toutes ses fantaisies, telle est la préoccupation visible dans les installations de ce palais flottant. Nulle part ne se manifestent mieux les aptitudes commerciales qui font la fortune de la nouvelle Allemagne : ordre méticuleux, initiative hardie dans les dépenses lucratives, souplesse d’adaptation aux besoins du consommateur étranger. Je ne citerai qu’un détail, le plus typique : le Kaiser Wilhelm II offre aux milliardaires américains dix cabines, — si toutefois ce mot convient encore à des appartemens complets, chambre avec lit, salon, salle de bains, — dont le prix de location s’élève à 10 000 francs ou approche de ce chiffre, suivant les catégories. Les dix cabines sont toujours retenues d’avance ; les titulaires, qui s’embarquent le plus souvent à Cherbourg, n’hésitent pas à débourser ces sommes rondelettes pour s’assurer six jours de traversée confortable.

Tandis que nous visitions le paquebot et faisions honneur à un repas très recommandable, il a démarré, il est sorti lentement du chenal. Au moment de prendre sa course à 22 nœuds, il nous rend au remorqueur qui nous ramène à Bremerhaven ; nous et ses autres invités, des officiers de cavalerie que nous avions vus s’asseoir à une table voisine de la nôtre. On aura montré un instant à ce public cosmopolite leurs uniformes, leur belle tenue ; autant de gagné pour le prestige national. Sur les menus, sur les livrets élégans où sont imprimés les noms des passagers qui garderont ces souvenirs du Kaiser Wilhelm II, un portrait en couleur du monarque, parrain de ce bâtiment. Les