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principaux navires du Norddeutscher Lloyd et de la Hamburg-Amerika portent et propagent de même les noms, les portraits du père, du grand-père, des fils de Guillaume II. Coup double : gain commercial et gain politique, inséparés dans la somme des gains nationaux ; « réclame » à longue portée, s’il est vrai que tous les gros succès de notre temps, ceux qui donnent la fortune, la puissance, l’influence politique, — j’allais presque dire la gloire, ou sa contrefaçon, — soient fondés et maintenus par ce moyen tout physique, vulgaire, mais infaillible : l’obsession universelle, perpétuelle, de certaines images sur les rétines et de certains noms sur les tympans.

Redescendus à terre, comme nous parcourons les chantiers, mon guide s’excuse de me faire marcher un peu vite ; il ajoute : « C’est notre pas habituel : il y a tant de travail, et qui presse ! Voyez nos directeurs, là, devant nous : ils marchent de ce même pas. D’ailleurs, c’est le pas de l’Empereur. » Ces derniers mots furent dits sans intention particulière, d’un ton où il n’y avait ni plaisanterie, ni sous-entendus symboliques ; ressouvenir fortuit, simple constatation d’une analogie. — Pour moi, ils signifièrent davantage ; et cent fois depuis lors ils me sont revenus à la mémoire, comme une formule explicative de tout ce que je voyais. Oui, ces hommes emboîtent le pas d’un Directeur général, qui donne le branle à toutes leurs entreprises ; d’instinct, ils règlent leur allure sur celle de l’entraîneur qui les stimule et les conduit.

Celui qui me parle a doté sa ville natale de la source de richesses que je viens d’examiner. Et ce n’est pas la seule création dont elle lui soit redevable. Il en est une dont le président du Norddeutscher Lloyd est plus fier encore que de sa flotte : la Bourse des cotons. Idée réalisée, après vingt-cinq ans d’application opiniâtre, dans le spacieux édifice où des courtiers de toute nationalité manipulent, du haut en bas des galeries, les échantillons du textile étudiés et classés dans ces nombreux bureaux. Ce n’est pas uniquement une Bourse, mais plutôt une institution semblable à celle qu’on appelle dans nos villes du Midi « la Condition des soies ; » laboratoire d’essais techniques et chambre d’arbitrage où les Brémois fixent sans appel, pour tous les marchés d’Europe, la qualité et la valeur des différens types du coton. Leurs arrêts font loi sur les places de Manchester, du Havre, d’Anvers, partout où se vend une balle de coton qui