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Il ne voulut pas s’attendrir et reprit son dénombrement :

— Ce n’est pas Charles qui vient avec Maurice. C’est une femme. Ils ont laissé le raccourci, ils allongent.

— C’est peut-être Mme Frasne. Vois-tu son mari ?

— Oui, c’est elle. Mais je n’aperçois pas le notaire.

— Il montera plus tard avec Charles. Leurs études les retiennent jusqu’à six heures.

— Les Frasne dînent ici ce soir, n’est-ce pas ? Elle parut s’en excuser comme d’une faute.

— Oui, Maurice, qui est souvent prié chez eux, m’a demandé de les inviter.

Ils gardèrent un instant le silence, ayant le même souci.

— Je n’aime pas cette femme, finit-elle par dire.

Surpris, non pas de la réflexion, mais de l’entendre formuler par sa compagne qui était d’habitude l’indulgence même, il l’interrogea au lieu de l’approuver.

— Et pourquoi ?

Mme Roquevillard fixa ses yeux limpides sur le ciel couchant :

— Je ne sais pas. On ignore d’où elle vient, on tremble de connaître jusqu’où elle irait. Elle n’est pas belle, et rien qu’en la voyant les mères s’inquiètent de leurs fils et les femmes de leurs maris,

— Quelle pitié ! dit-il. Qui t’en a parlé ?

— Personne. Ce que je sais, je le devine. Ceux qui prient beaucoup ne sont pas les plus mal renseignés. Elle a des yeux étranges, sombres, avec un grand feu. Elle me fait peur.

— Ah !… Eh bien ! on parle en ville d’elle et de notre fils.

— Il faut avertir Maurice. II faut l’avertir sans retard.

— Mais, chère amie, comment s’y prendre ? Nous ne sommes pas fixés. La rumeur publique, que signifie-t-elle ?

— Ce n’est pas la rumeur publique. Je le pressens, j’en suis sûre. II est en danger.

M. Roquevillard reprit :

— Quelquefois c’est décider une passion que la combattre. Tu l’as bien compris : tu as consenti à inviter les Frasne. Puis, les jeunes gens supportent mal cette ingérence dans leur vie. Maurice, surtout, qui est très fier. Il a vingt-quatre ans, il est docteur en droit, il n’a confiance qu’en lui-même. Il soutient d’ab-