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en fer, à très grande vitesse pour leur temps, et dont l’Inconstant anglais a marqué la première apparition. Leur unique protection était un revêtement de bois, prolongeant sur les œuvres mortes celui qui, sur la carène, recevait le doublage en cuivre et l’isolait du fer. Cette application du bois sur la tôle, qui rappelle une vieille conception de Dupuy de Lomé antérieure au Napoléon, ne créait pas de danger sérieux d’incendie ; elle rendait possible l’obturation des brècbes ouvertes par le feu de l’ennemi, et calmait ainsi les légitimes défiances du marin contre le simple bordé en tôlerie.

En réalité, la puissance défensive des croiseurs type Inconstant a résidé surtout dans la supériorité de vitesse qui leur permettait le choix de leurs adversaires. La vitesse est aussi l’arme d’attaque principale des navires de course, mais son importance est différente, au point de vue offensif et au point de vue défensif. Les bâtimens de commerce capables, comme jadis les forceurs de blocus sudistes, de défier un croiseur à la course, sont et seront toujours une minorité infime. Le croiseur peut donc rester pour le commerce un ennemi redoutable, bien que certains paquebots lui échappent. La supériorité de vitesse vis-à-vis de l’adversaire qui peut le détruire est, au contraire, pour lui, une question de vie ou de mort. Cette considération si simple a été souvent perdue de vue. L’erreur d’un constructeur éminent prônant, pour les croiseurs, la vitesse de seize nœuds au maximum n’a pas eu de conséquences graves ; mais il n’en a pas été de même de celle des auteurs de nos programmes de la flotte imposant à nos croiseurs une limite de vitesse inférieure à ce qu’il était possible d’atteindre.

Les reproches auxquels l’Inconstant a été exposé ne s’adressent qu’aux idées en cours à l’époque de sa conception. Quand on s’étonne de la hardiesse avec laquelle on osa construire des bâtimens d’un prix si élevé, déplaçant 5 000 tonnes, portant une artillerie puissante, sans l’ombre d’une protection même légère pour les parties vitales, et quand on la taxe de témérité, on oublie que le cuirassement vertical était alors la seule protection connue. Or on savait bien ce qu’une ceinture de plaques, même mince, coûterait de déplacement ; mais on ignorait, en présence de l’artillerie en travail, ce que pourrait avoir de valeur, sur le navire terminé, l’épaisseur de cuirasse adoptée lors de la mise en chantier.