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de Porzoëd, celles du pays de Léon, étaient un vaste refuge pour les anachorètes et les ermites. Des colonies religieuses se fondaient çà et là ; les saints attiraient à eux des disciples. Ce Rouan, qu’on allait juger, était, d’après la rumeur publique, l’un de ces saints… Entre l’entourage païen et les réactions chrétiennes, Gradlon restait flottant et comme suspendu. Le Dieu des chrétiens, — son Dieu, — lui semblait plus redoutable dans sa douceur que les dieux de tonnerre et de colère. Ce Dieu demandait de lui des choses autrement difficiles ; Gradlon le sentait confusément. Mais, en barbare qu’il était, il cherchait à l’apaiser par des présens. Au jour de ses remords, il redoublait ses libéralités : alors il faisait bâtir hâtivement quelque église. Les cent cathédrales de sa ville d’Is, — les cathédrales aux cloches d’or, — dorment au pays des légendes. Mais une pauvre petite chapelle s’élevait, çà et là : le roi donnait le bois des voûtes, le sol ou l’autel. Il ne donnait pas son âme. En réalité, il avait pris au culte chrétien quelques cérémonies seulement et quelques pratiques, sans en avoir pénétré le sens ; inquiet et troublé, il essayait de se tromper lui-même, car déjà il n’ignorait pas que le Seigneur demande le cœur des hommes, et non leurs dons.

Gradlon arriva à Quimper d’assez fâcheuse humeur. Tous ceux qui se trouvaient, il y a quelques jours, au réquisitoire de Kében, entouraient la sorcière devant le tribunal improvisé du roi. Quelques chrétiens rares et timides qui connaissaient Ronan par ses bienfaits se tenaient à l’écart. La foule était divisée et houleuse. Gwenc’hlan l’aveugle, conduit par un enfant, allait de groupe en groupe, maudire les moines et chanter les dieux.

Tout de suite Gradlon ordonna qu’on amenât le prisonnier, et Ronan, chargé de chaînes, fut mis en présence du roi.

C’était un homme de petite stature, d’un aspect chétif. Il était vêtu de peaux de bêtes ; il avait les pieds nus, la tête rasée. Son regard calme ne se posait ni sur le roi ni sur le peuple ; il allait là-bas, vers les ondulations bleues qui fuyaient à l’horizon : l’ermite semblait voir des choses mystérieuses et très lointaines. Humble et doux, il paraissait le plus inoffensif des hommes, une victime plutôt qu’un bourreau, et si distant des êtres qui l’entouraient qu’on l’eût dit étranger à cette scène.

Kében s’avança, hardie, effrontée, encore jeune, faisant des gestes de menace, proférant des paroles de colère. Elle redit devant le roi les accusations qu’elle avait formulées devant tout