Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/59

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— Soit ! vous n’aviez eu sur elle pourtant aucun renseignement précis ?

— Ne croirait-on pas que vous parlez d’une subalterne quelconque ? Mlle Walther est une personne parfaitement bien élevée dont le mérite s’impose. Tout ce qu’on eût pu me dire en sa faveur serait resté au-dessous du vrai. Tant de qualités brillantes et solides !… Ici j’avais grand’peine à être convenablement servie. Eh bien, elle dirige la maison de telle sorte que je n’ai plus de ce côté aucun souci. Ma femme de chambre Nadia, une petite sauvage que je n’avais jamais pu habituer seulement à porter des souliers, a maintenant une tenue des plus correctes ; tout ce que lui enseigne Mlle Walther, cette fille l’apprend en un clin d’œil.

— Je ne suppose pourtant pas qu’en quelques mois votre merveille, si merveille qu’elle puisse être, ait appris à parler le petit-russien ?

— Oh ! elle en a déjà attrapé l’essentiel, un mot par-ci par-là ; et le magnétisme de sa volonté, l’éloquence de son geste se font obéir.

— J’aurais très grand’peur de cette maîtresse femme !

— Bon, je vous entends ! vous êtes tous les mêmes vous autres Français ! Vous n’admettez pas qu’une personne séduisante puisse être vertueuse. Eh bien ! après ?… Il n’y a pas de ménage à troubler ici, pas de fils à enjôler. Je suis célibataire, grâce à Dieu.

Knopka et Coronka ayant daigné comme à regret descendre du trône que leur offraient ses genoux :

— Allons voir rentrer le bétail, dit-elle, c’est l’heure. Auparavant elle installa soigneusement Oudoudou dans sa cage et Douchinka dans un petit panier bien clos où il passait la nuit. Les pies s’étaient envolées vers d’autres rapines ; les chiens, aboyant et bondissant, s’apprêtaient à nous suivre. Nous gagnâmes la haie basse qui sépare le verger de la steppe. De longs cris d’appel plaintifs et monotones s’y faisaient entendre, éloignés d’abord, se rapprochant toujours, puis des meuglemens, des hennissemens, des bêlemens s’y mêlèrent dans le grand calme qui suit le coucher du soleil. Une longue procession de chevaux, de bœufs, de vaches et de moutons noirs foulait lentement le sol velouté comme un épais tapis. Elle se dirigeait vers le village. Je m’extasiai sur cette pastorale, digne des temps primitifs de l’Ukraine. Mlle Belsky approuvait mon enthousiasme,