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n’ajoutaient pas à leur misère. Tout de suite, elle voulut suivre cette pensée. Elle descendit ; elle passa de prison en prison, bonne et secourable, portant du pain et des fruits, s’attardant en paroles consolantes. Les prisons de ce temps-là étaient rudes. La terre nue, les chaînes, un peu de paille chez les maîtres les plus humains, ce qu’il fallait de pain et d’eau pour ne pas mourir : Ahès n’était, jamais entrée là ; elle frémissait de pitié…

Et cependant, quand ce fut le tour de Rhuys, elle se tint devant lui hautaine et glacée. Sa voix impérieuse démentait les paroles compatissantes. Et lorsqu’elle lui demanda, comme aux autres, ce qui lui serait bon, ce qu’il désirait pour être moins malheureux, il refusa d’un geste : il ne demandait rien, il ne désirait rien. Elle regarda à la dérobée le fier visage. Elle pensa qu’il était bien fait pour ces casques brillans qui étincelaient au jour des batailles. Son attention fut attirée par le bras qui saignait. De la même voix dure, elle lui proposa de le panser :

— Tu ne panseras pas ceux des tiens qui m’ont fait ces blessures, dit-il ironiquement. Je leur ai enlevé leur place au soleil !

Un éclair de colère avait passé dans les yeux d’Ahès, elle se souvenait… Elle était sortie pour ne plus revenir.

Comment était-elle revenue ?

Vraiment, elle ne savait pas…

Ahès revoyait une course sans but sur la grève. Le ciel était bas et triste, dans ces adorables tons de gris qu’elle préférait à tout. Des vols de goélands passaient et repassaient la frôlant de leurs ailes, jetant leurs cris rauques aux souffles courts du vent.

A demi-voix, elle chantait :

« Qu’ils sont bruyans, les oiseaux ! Le sable est humide, clair le firmament, la vague tourmentée. Comme il se flétrit, le cœur, par l’ennui ! »

Elle se sentait triste jusqu’aux larmes ; comme toujours la mélancolie des choses la saisissait, s’imprégnait en elle. Et la pensée de Rhuys achevait de lui rendre cette heure amère. Cet homme la haïssait… Elle ? Elle ne savait pas. Pourquoi était-elle si dure pour celui qui déjà souffrait tant, avec le besoin de le blesser, de l’humilier, de l’entendre crier grâce ? Et cependant, pourquoi cette pensée incessante, loin de lui ? Et comment, pour la première fois, sentait-elle son cœur « flétri par l’ennui, » comme disait la ballade ?

Il fallait absolument chasser cette pensée. Elle se sentait