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mauvaise… Pour qu’il fût si indifférent, elle l’avait blessé sans doute ? Sur ces grèves abritées contre le vent par de hautes falaises, des bruyères fleurissaient encore. Elle les cueillait, sans hâte, brin à brin, d’un geste presque machinal. Et la pensée lui venait de les lui donner ; ces bruyères égayeraient sa prison, sans l’humilier, sans qu’elle eût l’air de lui porter des secours comme à un pauvre.

Elle était donc allée vers Rhuys, sa moisson fleurie dans les bras. Mais, à la porte même du cachot, ses résolutions s’étaient évanouies. Le sourire s’était glacé sur ses lèvres. Elle avançait plus pâle, plus froide, plus hautaine que jamais. Les fleurs qu’elle avait apportées dans une pensée douce s’étaient échappées de ses mains qui tremblaient. Elle les laissait tomber devant Rhuys d’un geste brusque.

Et de nouveau l’orgueil du Celte s’était révolté. Une contraction rapide avait passé sur son visage. Malgré ses fers, il s’était baissé pour reprendre les fleurs sauvages et les lui tendre :

— Je n’aime pas les fleurs, dit-il.

Quelles luttes avait-il eu à soutenir, lui aussi, entre son orgueil et la tendresse qu’il sentait grandir ? Ahès l’ignorait. Elle ne savait pas que, passant sous les chaînes, il s’était détourné pour échapper au charme fatal ; qu’il avait cru voir en elle une de ces fées des houles aux longs yeux verts, que, tout enfant, il cherchait, rêveur, dans les remous des lames. Elle ne savait pas que, dans son horreur de la terre d’exil, — la terre du vainqueur ! — il repoussait ses dons, comme il repoussait son image ; et que, si les dons s’éloignaient, l’image restait présente. Tout ce qui pouvait séduire ce cœur à demi barbare, elle l’avait en elle : son étrange et mystérieuse beauté le fascinait ; sa hauteur naturelle le faisait songer à quelque reine qui s’assiérait à son foyer peut-être… hélas ! s’il n’avait pas été le vaincu… Mais ce mot, où s’amassait tant de haine, le rendait fort contre lui-même

Et voilà pourquoi il refusait ses fleurs ! Elle, elle essayait de cacher sa déception. Mais elle était à bout de force, à bout de dédain et d’orgueil. Et, comme dans ses chagrins d’enfant, ses larmes involontairement avaient jailli.

« Belle est la femme sous les larmes ! » Rhuys la regardait pleurer. Et c’est à cet instant que, depuis, elle le revoyait toujours, souriant pour la première fois, étonné et triste, comme