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portée des profanes les derniers mystères de l’électricité et de la « vertu sympathique. » Il y avait tout cela, sans compter la foule bariolée des joueurs de gobelets, des diseurs de sorts, des arracheurs de dents : et tout cela n’était rien encore en comparaison du théâtre splendide où Nicolet, le roi du Boulevard, assisté de son poète Taconet et de l’acrobate Spinacuta, offrait au public, presque gratuitement, la réunion de tous les plaisirs qu’eût jamais inventés le génie humain : comédies et pantomimes, ballets costumés, feux d’artifices, tours de force merveilleux du chien Caraby.

Enfin, vers deux heures, le mouvement des curieux se ralentissait, les parades s’interrompaient : tout Paris rentrait chez soi pour se mettre à table. Et alors, au sortir des surprises et des joies de la matinée, une autre fête s’apprêtait pour le petit Wolfgang. Excité par l’ivresse délicieuse de cette vie nouvelle, les oreilles encore pleines de chansons et les yeux de chatoyantes couleurs, l’enfant sentait croître son désir d’épancher le flot continu de musique qui coulait en lui. Dans la chambre chaude où son père le retenait, — car l’excellent homme, aussi bien par prudence commerciale que par sollicitude paternelle, tâchait à lui éviter toute occasion de refroidissement, — dès la fin du repas il se hissait sur la plus haute chaise, ouvrait le cahier oblong qui contenait tous les morceaux composés par lui jusque-là, et, un bout de langue dehors, s’occupait à en noircir les dernières pages. Le 21 novembre, quatre jours après son arrivée à Paris, déjà il avait commencé d’écrire sa seconde sonate pour le clavecin.


Ou plutôt sa troisième : car sur la page précédente du même cahier, et probablement encore avant son départ de Bruxelles, il en avait commencé une autre, que jamais ensuite il n’a pris la peine d’achever. Elle était en si bémol, comme celle qu’il écrivait maintenant, à Paris, pour la remplacer ; mais, à la manière italienne, elle débutait par un andante : et c’est de cet andante que Mozart avait entièrement composé la première partie, lorsque des circonstances que nous ignorons sont venues l’arrêter. Vingt-huit mesures, que l’on n’a jamais recueillies dans aucune des éditions de son œuvre de piano, et qui nous sont connues seulement par une reproduction en fac-similé de l’autographe original, dans un album salzbourgeois de 1872[1].

  1. Salzburger Mozart-Album, 1 vol. in-4o ; Salzbourg, librairie Glonner, 1872.