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Cet autographe aurait, lui-même, à nous apprendre bien des particularités intéressantes sur les habitudes de travail du petit Mozart. C’est, évidemment, un brouillon : après une première ligne écrite avec beaucoup de soin, les notes, peu à peu, deviennent inégales, se mangent l’une l’autre, les barres de mesure sont jetées au hasard, jusqu’à ce qu’enfin, à la troisième ligne, la main fatiguée de l’enfant se trompe dans une indication de passages à répéter, et rature, et corrige, nerveusement. Un brouillon : et cependant, quelque difficile que soit par instans la marche harmonique des modulations, il n’y a pas une rature qui porte sur la « musique » du morceau, je veux dire sur les notes du chant ni de l’accompagnement. Tout de suite cette musique reçoit, sur le papier, sa forme définitive ; de telle sorte qu’on serait tenté de croire à une improvisation, si l’on ne savait point, par ailleurs, combien Mozart a toujours été incapable de ce que désigne proprement ce mot. La vérité est que, avec son besoin naturel de perfection, doublé peut-être d’une certaine paresse aux besognes manuelles, jamais il ne se décidait à écrire un morceau que quand il l’avait composé tout entier, souvent à grand effort, dans sa tête. Ainsi nous savons qu’il faisait à vingt ans, à trente ans, toute sa vie : et son andante inachevé de Bruxelles nous prouve qu’il faisait déjà ainsi dès ses premiers essais.

Mais plus intéressante encore serait une analyse musicale de ce court morceau. Court et inachevé, il n’en est pas moins un chef-d’œuvre, un chant délicieux où le petit garçon, pour la première fois, a mis toute son âme avec tout son génie. Il y a mis d’abord ce que l’on chercherait vainement dans sa sonate précédente, comme aussi dans la suivante : une expression personnelle, un essai de traduire des sentimens qu’il éprouvait dans son propre cœur, au lieu de cette joie ou de cette mélancolie banales, et tout d’une pièce, qui formaient le thème ordinaire de la plupart des auteurs de sonates du temps. Nous entendons ici une plainte, délicate et douce, une vraie plainte d’enfant, entrecoupée de soupirs ; et puis elle s’étend et se renforce, elle monte, par degrés, à des gémissemens d’une angoisse pathétique ; après quoi, le petit cœur, un moment secoué, se console, et de nouveau nous fait voir son gentil sourire, dans une cadence où transparaît déjà presque un reflet de l’allégresse lumineuse de la Flûte enchantée. Le poète que va devenir Mozart, le voici, pour la première fois, qui s’annonce à nous ; et voici également le musicien, avec son sens