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forme, sans intérêt, le trajet de cette ville à Saint-Pétersbourg, ce qu’on a de mieux à faire est de dormir.

Je laissai ma compagne aux mains des parens venus à sa rencontre et allai m’installer à l’hôtel d’Europe pour consacrer désormais tout mon temps aux antiquités scythes et cimmériennes de l’Ermitage. Cependant j’allais presque chaque jour prendre des nouvelles de Mlle Belsky. Tant que son frère fut en danger, elle ne reçut personne, se consacrant tout entière au malade avec l’ardeur de dévouement qui était sa qualité la plus belle ; mais, au bout d’une quinzaine de jours, je fus admis à partager sa joie : la guérison, encore que lointaine, était assurée, on pouvait reparler de Bouzowa. Et elle me montra, pleine d’admiration, le journal presque quotidien qui lui était envoyé par Gisèle. Quelle précision et quelle abondance de détails à la fois dans ces lettres pleines de fraîcheur et d’ingénuité ! Tout y était passé en revue, la maison, le village, l’école, la ménagerie, d’une façon amusante et circonstanciée.

— Je crois y être, s’écriait Mlle Belsky attendrie, tant les choses m’apparaissent vivantes et présentes.

Gisèle s’y louait du zèle des serviteurs et spécialement de la petite Nadia, plus empressée que jamais. Pour sa part, elle savait s’occuper, prise toute la matinée par des soins domestiques, lisant beaucoup et en outre faisant, le soir, un peu de musique, avec la douce illusion que sa grande amie était encore là, étendue sur la chaise longue, à l’écouter. Elle lui chantait ses mélodies favorites. Le dimanche, elle dirigeait à l’église les chœurs, qui commençaient à se distinguer. De temps en temps, elle montait à cheval, mais très peu, Féodor avait tant à faire et elle n’osait s’aventurer trop loin sans un guide sûr, quoique vraiment il n’y eût rien à craindre ; mais elle avait promis de ne sortir qu’accompagnée, et elle tenait parole. Oh ! quand reviendrait sa grande amie ! Et à cette amie elle prodiguait tous les tendres mots d’amitié, qu’elle avait appris à prononcer en russe, la langue qui abonde le plus en diminutifs caressans.

Malheureusement, Mlle Belsky ne pouvait songer à partir avant que ne se fût déclarée la parfaite convalescence ; cette convalescence venue, son frère, très faible encore, la conjura de rester ; elle l’avait sauvé par ses soins, se plaisait-il à dire, et, maintenant, elle le rattachait petit à petit à la vie par sa présence, qui l’égayait. Qui donc ferait sa partie, qui donc ressasse