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pour une vie Mais ils ne mouraient si facilement que parce qu’ils avaient la certitude de revivre. A quelle vie ? Ils l’ignoraient. On enterrait avec eux leurs chevaux et leurs armes, pour qu’ils pussent les retrouver dans les longues plaines mornes là-haut, au pays des nuages. Bien plus, ils revenaient vers les lieux aimés ; ils voyaient et ils entendaient, surtout en la nuit des âmes, au 1er novembre, et ils prenaient dans les ténèbres les libations que leur préparaient les mains pieuses, les messages où on les entretenait encore d’un fidèle amour.

Il est vrai, la conquête romaine avait aboli en droit les sacrifices, il y avait des siècles. En fait, ils s’étaient continués longtemps, rares, isolés, à l’abri des forêts impénétrables. Mais, malgré les mœurs qui se modifiaient peu à peu, les âmes demeuraient les mêmes, aussi mystiques, aussi vaillantes, aussi folles de gloire. Rhuys résumait en lui les qualités et les défauts de ce peuple. Que lui importait la vie ? Quelle mort vaudrait jamais celle qu’on lui offrait, en plein soleil, debout, par un coup de poignard, forçant l’admiration de ses ennemis mêmes. Combien parmi les siens étaient partis, déjà, grands et tragiques, laissant dans l’âme des témoins le frisson de quelque chose de surhumain ! Il y avait longtemps… Mais dans les combats sans cesse renouvelés, ou, en plein Océan, dans les tempêtes, Rhuys n’avait-il pas mille fois joué sa vie pour un hasard, pour l’approbation d’un chef, pour l’amour des choses impossibles ? Et tout récemment encore, quand Gradlon l’avait fait prisonnier, n’avait-il pas prolongé pendant des heures une résistance désespérée, préférant mille fois être tué qu’être pris ?

Il y avait si peu de temps !…

Hélas ! Il y avait la vie

Mais Rhuys garda au fond de lui-même le mystère de sa douleur. Il ne témoigna ni effroi ni surprise. Il écouta, impassible, le message de mort. Il mourrait le lendemain puisque les dieux et le druide avaient fixé le lendemain. Il mourrait devant tout le peuple : ce peuple apprendrait alors ce que valaient leurs ennemis. Rhuys ne demanda même pas pourquoi le caprice cruel. Et il écouta vaguement les explications incohérentes du druide ; les dieux l’appelaient ; les dieux voulaient une victime, ou ils menaçaient de perdre Ker Is tout entière sous les flots. Il apprit aussi que le roi serait absent par la terreur de déplaire à des prêtres nouveaux, ennemis des rites sanglans ; Ahès serait absente aussi.