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des âmes et sur la résurrection, saint Jérôme avait dû intervenir pour rassurer sa fille spirituelle et confondre l’intrus : il n’était pas inutile à sainte Paule d’avoir près d’elle un directeur et un guide. Chez Mélanie au contraire, telle que le prêtre Gerontius nous amène à l’imaginer, il y a je ne sais quelle sûreté spontanée d’orthodoxie, je ne sais quelle virilité spontanée d’intelligence, qui devine la voie de l’Église, et qui s’y engage, et qui paisiblement y chemine. Entre Pelage et saint Augustin, entre Nestorius et les orthodoxes, elle intervient avec une autorité qui dans l’Eglise fut rarement la prérogative d’une femme. Rufin, son ami de jadis était mort dès 410, et mort très suspect ; les entretiens doctrinaux de l’évêque de Tagaste, Alype, l’ami de saint Augustin, dont elle avait beaucoup profité durant son passage en Afrique, n’avaient eu qu’un temps. Mélanie, d’elle-même et par elle-même, était une femme de doctrine ; et le double éclat de son origine et de son dépouillement ajoutait sans doute à son prestige de controversiste.


Un empereur, vingt ans avant la naissance de Mélanie, avait voulu empêcher l’intelligence humaine de servir le christianisme ; le Sénat, à son tour, lorsqu’elle n’avait que vingt et un ans, dédaignant ce que Pascal après saint Paul appelle la « folie de la croix, » avait voulu interdire à la conscience humaine l’anéantissement chrétien. Le rôle que jouait Mélanie et les conditions dans lesquelles elle le jouait marquaient une victoire du nouveau Credo sur ces oppositions suprêmes. S’étant appauvrie malgré les lois, s’étant déclassée malgré les préjugés, ayant émigré de sa caste pour vivre en un contact fraternel avec ses anciennes esclaves, Mélanie s’en était allée au berceau même du christianisme servir la culture nouvelle avec la finesse et la dextérité qu’elle devait à la culture ancienne ; et l’audace même de cet exode témoignait de la défaite morale du vieux monde, au moment même où l’entrée d’Alaric à Rome le faisait brutalement s’effondrer.


GEORGES GOYAU.