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des syndicats de destruction, d’utopie, de haine. J’ai rappelé quelques-uns de leurs titres ; il faut ajouter celui-ci : les membres de la bourgeoisie et de l’aristocratie qui les dirigent, ont appris à mieux connaître les paysans, à les aimer, et par là ils ont commencé de désarmer les méfiances séculaires de ceux-ci, d’obtenir leur estime et un peu d’affection. Tous les hommes de la terre ne raisonnent pas comme celui qui étant allé demander un secours au marquis de S. M... et ayant reçu vingt francs, grommelait en retournant la pièce : « Qu’est-ce que cela pour lui ? Il paraît qu’il a des tonneaux pleins d’or dans sa cave ! » En faisant les affaires de leurs affiliés, en s’efforçant de résoudre les mille difficultés qui surgissent, les chefs du mouvement font mieux leurs propres affaires ; mis en contact avec les choses, ils ont reçu la forte leçon de l’expérience. A côté ou à la place des vieilles croyances, un nouvel idéal, la vision du devoir social, a illuminé leurs âmes. Louis XIV demandant au cardinal de Janson où il avait ai bien appris à traiter les plus grands problèmes, reçut cette réponse : « Sire, c’est lorsque j’étais évêque de Digne, en parcourant la nuit avec une lanterne sourde les rues de la ville d’Aix, pour y trouver un maire. » Quelle que soit la destinée de chaque citoyen, qu’il monte vers les besognes d’État, ou qu’il demeure dans la sphère des travaux privés, il doit pousser à leur plus haut degré ses qualités propres. Non seulement notre métier nous affine à mesure que nous l’exerçons, mais il nous prépare à d’autres tâches en augmentant notre capacité générale. Et comme un horticulteur prévoyant trouve dans ses pépinières tous les sujets d’élite dont il a besoin, la France doit avoir ses pépinières d’hommes d’initiative, heureux de rester dans le rang ou d’en sortir, capables de répondre à son appel, de dépenser du talent, du dévouement, pour les petites questions comme pour les grandes.


VICTOR DU BLED.