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Les comptes s’en ressentirent. Sully avait beaucoup de moyens d’être désagréable à la souveraine, tous aboutissant à ne pas donner d’argent : par exemple, il retardait le paiement des mensualités du budget ordinaire ; en fin d’exercice il cherchait à rogner 7 000 écus ; il fallait que la reine écrivit des lettres pour que le trésor acquittât ce qu’il devait. Lorsqu’une recette exceptionnelle était octroyée à Marie afin de payer une dette, la princesse passait contrat avec un individu quelconque, lequel donnait comptant une somme fixe et s’arrangeait pour percevoir la recette à ses dépens, la somme à recouvrer étant supérieure à celle qui était livrée à la reine. Ces contrats devaient être contresignés par le surintendant : le surintendant ne contresignait pas. Deux mois, trois mois se passaient. L’individu avec qui on avait traité se lâchait, menaçait de résilier, et la reine désolée était obligée d’écrire au ministre des lettres suppliantes : « Il y va de ma réputation ! » gémissait-elle.

Une fois convaincu de la nécessité de donner des fonds à Marie de Médicis pour éteindre ses dettes, Henri IV commençait par refuser tout don d’argent pur et simple. Le procédé eût été trop commode, en vérité, le trésorier général de la reine n’ayant qu’à aller toucher au trésor. Le roi, dans une heure d’épanchement avec les filles d’honneur de la souveraine, osait avouer le motif de cette détermination : « Je ne veux pas donner un sou à la reine, disait-il, parce que tout irait dans la bourse du signor Concini ! » La cause véritable était qu’il ne voulait pas encourager sa femme à demander de l’argent par une trop grande facilité à recevoir celui-ci et, d’autre part, qu’il réservait les acquits au comptant pour ses maîtresses. A peine une fois, au début de l’année 1805, se décidera-t-il à faire cadeau à la reine de 30 000 livres ; mais la même lettre qui priait Sully de délivrer à Marie de Médicis cette somme lui ordonnait de mettre à la disposition de Jacqueline de Bueil, comtesse de Moret, 9 000 livres 1 Tout l’argent liquide allait aux amies ; la reine n’avait pour elle que des ressources aléatoires qu’il fallait percevoir difficilement, avec des risques nombreux.

A certaines heures particulièrement critiques, Marie de Médicis eut l’idée de faire appel à la générosité du grand-duc de Toscane, son oncle. Elle lui disait qu’elle avait recours à lui com me à son père. Par intérêt et par pitié, le grand-duc se laissait fléchir. Henri IV, informé, en conçut une grande irritation et de la honte, molta vergogna. Il crut devoir s’excuser auprès de l’envoyé florentin en mettant la pénurie de sa femme sur le compte de la mauvaise