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Chrysis, la belle courtisane, il lui demanda de l’aimer. Pour prix de ses faveurs, moins coûteuses d’ordinaire, la perverse créature exigea, par serment et d’avance, trois cadeaux précieux : un miroir, un peigne, un collier. Le miroir était le célèbre miroir de Rhodope ; le peigne brillait dans les cheveux de la femme du grand prêtre ; enfin le collier de perles, à sept rangs, flottait sur le sein de la statue, sculptée par le sculpteur lui-même, de la déesse Aphrodite. Démétrios commit le triple attentat et conquit le triple trésor. Voleur, assassin et sacrilège, il vit Chrysis accourir et tomber dans ses bras ; mais par un retour assez singulier, défaillance ou remords, c’est à peine s’il daigna l’y recevoir et l’y retenir. Sans compter que, par une revanche encore moins glorieuse, il lui fit jurer de se dénoncer elle-même et, pour cela, de paraître devant toute la ville, ayant le miroir à la main, le peigne dans sa chevelure, autour de son cou le collier. « J’irai, daigna-t-il seulement lui promettre, j’irai te dire adieu demain dans ta prison. » Mais il manqua même à ce dernier rendez-vous, et l’amoureuse hétaïre ferma ses paupières, appesanties par la ciguë, sans revoir le lâche héros qu’elle avait fait criminel, et qui n’avait osé recevoir de ses crimes ni la récompense ni le châtiment.

La partition de M. Erlanger a pour élémens le « tout à l’orchestre » habituel et l’inévitable leitmotiv, ces deux principes de l’idéal d’hier, lequel est en train de devenir le système d’aujourd’hui et le poncif de demain.

Les thèmes conducteurs d’Aphrodite ont généralement peu de relief et de couleur, en dépit des modes orientaux qui parfois les régissent, mais n’arrivent guère à les caractériser. Ils reviennent, comme bien vous pensez, le plus souvent qu’ils peuvent ; je crois même qu’ils se combinent et se transforment avec un louable zèle. Ils font enfin, de leur mieux, leur métier de leitmotiv. Mais à la longue on nous l’a gâté, ce métier. Il nous rebute maintenant et nous excède. Nous demandons que pour créer des caractères et pour animer des personnages, la musique de théâtre trouve d’autres moyens, d’autres ressources d’analyse ou de psychologie, et que, des profondeurs de son être, elle fasse jaillir une source nouvelle de vie et de vérité.

Nous souhaitons aussi que l’orchestre s’allège, se ménage et se réserve, qu’il cède ou qu’il rende à d’autres forces de la musique : à la voix, à la parole, quelques-uns de leurs droits usurpés si longtemps. Dans Aphrodite comme ailleurs, l’orchestre prend trop de place et fait trop de bruit. A peine si deux ou trois fois il s’apaise, s’affine, et se clarifie. Je me souviens seulement de quelques mesures, dans le duo du premier acte, entre Démétrios et Chrysis, où passe à travers l’épaisseur