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imprimer son livre, il ait eu besoin de tant de conseils, et cela ne suffirait-il pas à prouver que, tout en « désirant beaucoup une réfutation du livre de M. de Stourdza, » Rome n’a rien demandé à Joseph de Maistre, directement ou indirectement ?

Lui, cependant, s’il hésite, et si nous le voyons, par momens, tout près de renoncer à la publication, ce n’est pas qu’il conçoive un doute sur les idées qui sont les siennes depuis quarante ans, et que toutes ses lectures, toute son expérience de la vie, toutes ses réflexions ont confirmées, mais c’est qu’à soixante ans passés, il est encore « un jeune auteur, » n’ayant en effet publié de son œuvre que ses Considérations sur la France, il y a plus de vingt ans, en 1796 ; son Essai sur le Principe générateur des Constitutions, en 1814 ; et sa traduction du traité de Plutarque sur les Délais de la Justice divine, en 1816. L’expérience de la publicité lui manque ; et ce que cependant il voudrait avant tout, c’est qu’on le lût. Sous ses allures hautaines de diplomate et de « ministre d’État » aucune des vanités de l’homme de lettres ne lui est étrangère ; et il serait certes fâché que le livre Du Pape fut mal accueilli de Rome, mais je ne sais s’il ne le serait presque autant, ou même davantage, que le public français le reçût avec indifférence. Joignez à cela que s’il ne doute, — et il a deux fois raison, — ni de la valeur de ses idées, ni de son originalité d’écrivain, il est moins sûr de ce que valent les moyens qu’il a pris pour développer ses idées, et il doute, en particulier, de la solidité, mais surtout de la précision de son érudition.

On a en effet beaucoup loué l’immense érudition de Joseph de Maistre, et M. Latreille, qui la discute, commence par nous rappeler qu’aucun biographe avant lui n’a cru pouvoir moins faire que de rappeler à ce sujet ce que Sainte-Beuve en a dit. N’oublie-t-il pas Edmond Scherer ? Scherer, dans son article de 1853, a dénoncé, sans aucun ménagement, ce qu’il y avait de « superficiel » dans l’érudition de Joseph de Maistre : « Il est certain que les connaissances de Joseph de Maistre étaient aussi « superficielles » qu’elles étaient étendues. Il savait plusieurs langues, mais il les savait mal. Il croyait retrouver le célibat des prêtres dans l’Elysée de Virgile.


Quique sacerdotes casti dum vita manebat.


Je rencontre dans l’Examen de Bacon un contre sens qui ne permet pas d’admettre que Joseph de Maistre ait connu les premiers élémens de l’anglais... Il ne comprenait pas mieux l’allemand que l’anglais. » Mais « superficiel » est-il bien le mot juste ! A notre avis, le grand défaut de