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nature humaine et sur les sociétés : « Toutes les fois qu’on peut amortir des volontés sans dégrader les sujets, on rend à la société un service sans prix. » Ils se retrouvent encore dans ces belles et vastes généralisations, si simples, et dont la simplicité n’a d’égale que l’ampleur : « Il n’y a pas de dogme dans l’Eglise, il n’y a même pas d’usage général appartenant à la haute discipline, qui n’ait ses racines dans les dernières profondeurs de la nature humaine, et par conséquent dans quelque opinion universelle plus ou moins altérée çà et là, mais commune cependant, dans son principe, à tous les peuples de tous les temps. » Il donne ailleurs de la même idée cette autre expression, que je préfère peut-être : « Les vérités théologiques ne sont que des vérités générales, manifestées et divinisées dans le cercle religieux, de manière que l’on ne saurait en attaquer une sans attaquer une loi du monde. »


III

Achevé d’imprimer dans les derniers jours de l’année 1819, le livre Du Pape ne parut que dans les premiers jours de 1820, et il ne paraît pas que le succès en ait d’abord été ce que l’auteur avait attendu. Il écrivait bien, à la vérité, dans une lettre datée du 9 février, et adressée à l’abbé Rey : « J’ai été extrêmement approuvé à Rome. Par une délicatesse que vous comprenez du reste, je n’avais pas voulu envoyer directement mon livre au Saint-Père ; j’ai laissé faire au ministre, et je n’y ai rien perdu. Le Pape a dit : « Laissez-moi ce livre, je veux le lire moi-même... » Il n’était pas difficile, si c’est là ce qu’il appelle « être extrêmement approuvé. » Mais la réalité, plus triste, est qu’ayant composé, pour la seconde édition du livre, une belle dédicace adressée au Pape lui-même, celui-ci n’en prit pas connaissance, et lui fit dire par un tiers qu’en « raison des circonstances, » il n’oserait l’accepter. Nous le savons par le témoignage authentique de sa fille Constance, depuis duchesse de Laval Montmorency. « Il [le chargé d’affaires à Turin], — écrit-elle dans ses Souvenirs, — vint dire à mon père que son épître dédicatoire avait été mise sous les yeux du Pape, [il n’en avait ni parlé ni écrit] mais que dans les circonstances actuelles Sa Sainteté n’osait pas l’accepter. « Pas seulement cette consolation avant de mourir. » disait mon pauvre père[1]. » Et, en effet, la mort était proche. Elle l’atteignit

  1. Tout ceci n’est pas très clair ; et, à vrai dire, je n’ai pu m’assurer si, oui ou non, l’Épître dédicatoire avait été mise sous les yeux du Saint-Père.