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dans les derniers jours du mois de février 1821. Un an à peine s’était écoulé depuis l’apparition du livre.

Il n’avait guère été mieux accueilli du public français que de la cour de Rome, et, à cet égard, il ne faudrait pas que quelques témoignages isolés nous fissent illusion. Ce n’était pas merveille que des hommes de parti, tels que Bonald ou Marcellus, tels encore que le fougueux auteur de l’Essai sur l’indifférence dont le second volume venait de paraître, n’aient eu que félicitations et louanges pour l’auteur Du Pape. Mais d’abord, ils n’exerçaient eux-mêmes en ce temps-là, sur l’opinion, qu’une très faible influence, et il n’eût appartenu qu’au seul Chateaubriand, s’il l’eût voulu, de « pousser » le livre de Joseph de Maistre. Nous l’avons dit plus haut, et nous le répétons ; en 1820, c’était presque un inconnu pour le public français que Joseph de Maistre : ses Considérations sur la France dataient tantôt d’un quart de siècle ; il ne s’était acquis nulle part ailleurs la notoriété qu’il n’avait pas chez nous ; et enfin, si neuf qu’il soit à tant d’égards, comme nous avons essayé de le montrer, le livre Du Pape n’était ni par la nature du sujet, ni par son opportunité, ni par ses qualités littéraires, de ces livres qui font en quelque sorte explosion, et dont l’auteur devient ainsi du jour au lendemain un maître de la pensée de son temps.

À cette considération, il convient d’en ajouter une autre. Dans une lettre à Bonald, datée du 25 mars 1820, il se plaint, non sans amertume, que « ses journaux (les catholiques et les royalistes) n’aient pas osé prendre la parole sur son ouvrage ; » et il s’en indigne, comme d’une sorte d’ingratitude. « Je m’attendais, je vous l’avoue, à plus de courage et de générosité. Quel étranger vous a jamais plus connus et plus aimés ? Quel écrivain vous a rendu plus de justice ? » Sans doute ! mais quel étranger, — tout en enviant beaucoup de choses à la France, plutôt d’ailleurs qu’en l’admirant et qu’en l’aimant, — en a parlé cependant, et même dans son livre Du Pape, avec plus d’aigreur et de véhémence ? Les lecteurs de 1820 n’ont pu manquer de s’en apercevoir, eux, dont le patriotisme, et je dirais volontiers le « nationalisme, » au lendemain des traités de Vienne, avait quelque chose de plus jaloux et de plus facile à effaroucher peut-être qu’en d’autres temps. C’était encore une raison pour qu’on ne fit pas au livre Du Pape l’accueil que Joseph de Maistre avait espéré. Que ce soit aux dépens de la Révolution Française ou de Bossuet, de Voltaire ou de Fleury qu’il exerce son ironie, c’est bien à la France qu’au travers d’eux il s’attaque, et non seulement au gallicanisme, mais au génie ou à l’esprit français. Or, quand tout un peuple se trouve ainsi pris à partie dans un livre, gourmande, maltraité, invectivé dans ce livre, et