Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ennemi déclaré de l’état de choses actuelles, et un soutien de ces fameux anciens partis. Cette insinuation était d’autant moins fondée que (je n’ai pas à m’en cacher ici) je suis profondément bonapartiste. On me permettra cependant de choisir mon héros dans la dynastie. Parmi les légitimistes, les uns préfèrent Louis XVIII, d’autres Louis XVI, d’autres placent leurs sympathies sur la tête de Charles X. Comme bonapartiste, je préfère Napoléon II ; c’est mon droit. J’ajouterai même qu’il représente pour moi l’idéal du souverain. Personne ne niera qu’il ait occupé le trône, puisque son successeur s’appelle Napoléon III. Quel règne ! mes amis, quel règne ! Pas une contribution, pas de guerres inutiles, avec les décimes qui s’ensuivent ; pas d’expéditions lointaines dans lesquelles on dépense six cents millions pour aller réclamer quinze francs, pas de ministres cumulant chacun cinq ou six fonctions à cent mille francs pièce ; voilà le monarque tel que je le comprends. Oh ! oui, Napoléon II, je t’aime et je t’admire sans réserve... Qui donc osera prétendre maintenant que je ne suis pas bonapartiste ? » Ici l’enthousiasme déborde, et comme un certain matin Paris s’était éveillé en criant on ne sait pas pourquoi : « Ohé Lambert I avez-vous vu Lambert ? » de même, sur tous les boulevards ce soir-là, circula le cri : « Avez-vous lu la Lanterne ? Lisez la Lanterne ! »

On connaissait à peine Rochefort pour quelques chroniques écrites dans le Charivari ou dans le Figaro ; il devint tout à coup le héros, celui que l’on se montre dans les rues, celui auquel des dames mystérieuses écrivent des billets doux, celui que les jeunes gens applaudissent et qui entre de plain-pied dans la renommée. Son imprimeur s’était préparé pour un tirage de 15 000, on lui en demanda 120 000. Au second numéro, le succès s’accrut ; on se pâmait d’aise devant des phrases telles que celles-ci : « J’ai eu la bonne veine de saisir ce dialogue entre un garçon de café et un consommateur. — Garçon, la France. — Monsieur, quand elle sera libre. — Alors j’attendrai longtemps. » Et plus loin : « D’après une correspondance de Belgique, la démence de la princesse Charlotte, veuve de Maximilien, aurait pris un caractère tout particulier. Tout le temps que durent ses crises, elle s’écrie de minute en minute : « Dieu, comme tout est sale ! Allons qu’on nettoie tout de suite ! » Je ne suis pas aliéniste, mais si elle trouve que tout est sale et que le besoin d’un nettoyage se fait sentir, il me semble que nous n’avons pas dans toute l’Europe une princesse aussi lucide. »