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Quand, après le décret du 24 novembre 1860, je me décidai à pousser la politique constitutionnelle jusqu’à ses conséquences logiques en poursuivant la transformation de l’Empire autoritaire en Empire libéral, quelques-uns tels que Floquet, Hérold, déjà radicaux, Delprat, Gournot ne me suivirent pas ; d’autres, tels que Philis, Adelon, Jules Ferry, Gambetta, etc., restèrent avec moi. Aux élections de 1863, Gambetta me défendit éloquemment dans le comité Carnot contre l’attaque des purs. Jules Ferry dédia son livre sur la lutte électorale : « Aux cinq députés démocratiques et libéraux qui ont reconstitué en France l’opposition légale. » Il y affirmait que « le pouvoir impérial était né d’une expression sincère de la volonté nationale. Un jour les masses agricoles montrèrent qu’elles pouvaient vouloir ; le paysan voulut couronner sa légende et d’un mot fit l’Empire : ce mot-là fut passionné, libre, sincère ; il le répéta trois fois[1]. » C’était, en d’autres termes, le langage tenu par Thiers déclarant indiscutable le droit de la dynastie[2]. Lors de la rupture amenée en 1864 par la loi des coalitions, ces jeunes gens se déclarèrent contre Jules Simon et pour moi, toutefois avec quelques précautions. La lettre impériale du 19 janvier 1867 fortifia mon crédit auprès d’eux parce qu’ils crurent que je leur apportais le succès. L’avortement partiel de la réforme les consterna, les irrita, et surtout les avertit. Chaque coup porté sur moi était un conseil de ne pas m’imiter. Voyant se resserrer le cercle de haines dans lequel les forcenés de droite comme ceux de gauche travaillaient à m’étouffer, ils s’évadèrent de ma politique, même avant l’heure du sauve-qui-peut. Et comme ils étaient fortement compromis, ils se firent pardonner d’avoir été constitutionnels en se proclamant irréconciliables.

Ils n’eurent pas à se donner de peine pour formuler leur nouveau programme. Jules Simon leur en offrit un tout fait. Il réunit avec une préface ses principaux discours sous le titre de : « Politique radicale. » Cet accouplement de mots avait de quoi sur- prendre de la part d’un philosophe en sa pleine maturité. Radical signifie l’absolu, politique, le relatif. Politique radicale rapprochait donc deux termes contradictoires et équivalait à « amour haineux, » ou bien « vérité mensongère. » Le programme exposé sous ce titre comprenait tous les lieux communs démagogiques du temps :

  1. Ferry, La lutte électorale, en 1863, p. 11 .
  2. Thiers, Discours du 26 février 1866.