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plus que lui d’ailleurs, qu’il ne fût appelé aux plus hautes destinées. Il regardait de tous les points de l’horizon d’où lui viendrait la chance favorable qui tout d’un coup vous fait sortir du néant. L’affaire Baudin lui parut cette chance attendue et il l’aborda, décidé à sortir de l’audience fracassé ou porté sur le pavois.


IX

Dans l’auditoire qu’avaient bercé plutôt qu’ému les confidences personnelles de Crémieux et d’Arago, il se fit un silence solennel plein de curiosité quand, les précautions oratoires épuisées, Gambetta dit d’un ton résolu indiquant que rien ne l’arrêterait : « Existe-t-il un moment pour une nation au sein d’une société civilisée, où la raison d’Etat, ou le coup d’Etat puisse impunément, sous prétexte de salut public, violer la loi, renverser la Constitution et traiter comme des criminels ceux-là qui défendent le droit au péril de leur vie ? » Il ne s’agissait plus de la défense de Delescluze, c’était le procès à l’Empire et à l’Empereur. Il poursuivait : « Rappelez-vous, ce que c’est que le 2 décembre. Rappelez-vous ce qui s’est passé... vous savez tout ce qu’il y a de sang et de douleurs, de larmes dans cette date ; mais ce qu’il faut dire ici, ce qu’il faut toucher du doigt, c’est la machination, c’est la conséquence, c’est le mal causé à la France, c’est le trouble apporté dans les consciences par cet attentat ; c’est là ce qui constitue la véritable responsabilité. C’est cela seulement qui pourra vous faire apprécier jusqu’à quel point vous nous devez aide et protection quand nous venons honorer la mémoire de ceux qui sont tombés pour avoir défendu la loi et la Constitution qu’on égorgeait. Oui ! le 2 décembre, autour d’un prétendant se sont groupés des hommes que la France ne connaissait pas jusque-là, qui n’avaient ni talent, ni honneur, ni rang, ni situation ; de ces gens qui, à toutes les époques, sont les complices des coups de la force, de ces gens dont on peut répéter ce que Salluste a dit de la tourbe qui entourait Catilina, ce que César dit lui-même en traçant le portrait de ses complices, éternels rebuts des sociétés régulières : Aere alieno ohruti et vitiis onusti. Un tas d’hommes perdus de dettes et de crimes, comme traduisait Corneille. C’est avec ce personnel que l’on sabre depuis des siècles les institutions et les lois. Et la conscience