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de barrer la route aux aberrations populacières. Après eux aucun gouvernement ne pourrait remplir d’une manière aussi sûre cette double tâche de progrès et de préservation sociale.

D’ailleurs, parler de révolution est facile, l’accomplir l’est moins. Sans doute les classes moyennes se prononçaient de plus en plus contre l’Empereur, mais elles l’avaient toujours subi plus qu’accepté et le peuple, dont il avait été la création, lui restait attaché malgré des fautes qu’il attribuait à l’incapacité des ministres et à la fatalité des circonstances. Ce n’était pas l’Empire qui était à l’agonie, c’était la forme autoritaire de cet Empire. Du jour où, sortant de l’indécision, l’Empereur aurait inauguré l’Empire libéral, il serait instantanément renouvelé, fortifié, et, même parmi les lecteurs de la Lanterne, beaucoup désarmeraient. Se fussent-ils obstinés à une guerre désormais sans motifs, l’Empereur n’avait, sans tirer l’épée d’un coup d’État, qu’à s’adresser directement à ses fidèles du suffrage universel qui lui auraient vite rendu le pouvoir de remettre une liberté séditieuse dans la geôle césarienne. Une opposition révolutionnaire ne réussirait donc qu’à compromettre ce qui avait été péniblement conquis et à rendre au régime autoritaire tout ce qu’il avait perdu.

Les révolutionnaires se vantent quand ils prétendent avoir renversé des gouvernemens ; ils les ont plutôt fortifiés. Aucun gouvernement n’a péri que par le suicide : ceux qui ne s’abandonnent pas, quelles que soient leurs fautes, sont indestructibles dans ce pays plus accoutumé, depuis un temps immémorial, à remuer la langue qu’à lever les bras. Et quel gouvernement paraissait plus que le gouvernement impérial à l’abri d’une telle fin ? Le seul péril qui pût le menacer était celui d’une guerre malheureuse, suivie d’une invasion. Qui aurait pu alors prévoir une telle calamité sans être taxé de folie ? Qui ne croyait pas, avec M. Thiers, que « rien n’était au-dessus de l’armée française ? » Qui aurait pu douter, que, même en cas de défaite, la France entière, oubliant ses divisions, ne vînt se grouper autour de celui qui combattait pour elle ? En 1814 et en 1815, les républicains, Carnot, le général Lecombe, le conventionnel Grenier de Saintes, etc., étaient accourus auprès de l’homme national et avaient offert leur dévouement à celui dont ils n’avaient pas servi les prospérités. Cette tradition glorieuse, en quelque sorte sainte, ne venait-elle pas d’être renouvelée par l’héroïque martyr Barbes, écrivant, au moment des revers de Crimée