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et la liberté ; ma seule ambition était d’établir dans la politique une région de sérénité où les idées les plus diverses pourraient se rencontrer, s’expliquer, même se combattre aux pieds de la patrie universellement respectée et maintenue supérieure aux disputes. Et maintenant je me laisserais détourner du but poursuivi depuis tant d’années ? Loin de me rejeter en arrière, je m’attachai encore plus obstinément à la poursuite d’un idéal, d’autant plus cher qu’il me semblait plus difficile à atteindre. Du reste, je me serais efforcé en vain d’agir autrement. J’avais tellement façonné mon esprit à la recherche rigoureuse de ce qui était juste, qu’il m’eût été impossible de reprendre ces habitudes systématiques de dénigrement, de falsification, d’injustice, de constante exagération, sans lesquelles il n’y a pas d’opposition révolutionnaire. J’étais trop heureux de m’être affranchi de ces servitudes ; l’idée de remettre mon esprit sous leur joug me faisait horreur. Enfin je répugnais à entamer une lutte personnelle injurieuse et sans merci contre le souverain avec lequel j’avais eu des entretiens confidentiels, et dont j’avais serré la main. Je refusai donc ma souscription.


XIV

Je ne répondis pas un mot à la sommation. J’écrivis au brave homme qui avait été chargé de me transmettre l’invitation : « Mon cher Dugit, je vous remercie de votre lettre qui est une preuve de plus de votre affectueux intérêt. Je pense comme vous sur le coup d’Etat et j’admire autant que vous l’acte héroïque de Baudin. Mais je considère la souscription comme une faute dans la situation de la France. C’est, dans tous les cas, la condamnation de la politique que je suis si péniblement depuis douze ans. Je ne puis en un jour désavouer douze ans de combat. Rien de plus simple que ce qui se passe. Les abstentionnistes vaincus par nous en 57 et en 63 tentent de prendre leur revanche et de substituer leur politique révolutionnaire, que j’ai toujours combattue, à la politique constitutionnelle des Cinq que je continue. Que voulaient les Cinq ? Amener le gouvernement à accorder la liberté pour éviter une nouvelle révolution. Que veulent les organisateurs de la souscription ? Empêcher le gouvernement d’accorder la liberté en l’affolant