Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

termes, un système ; des philosophes, en un mot, fort peu philosophes. »

Que si, acceptant la teneur de ces lignes, on en tirait prétexte pour dénier à Victor Cousin le droit de se dire éclectique, on aurait tort ou raison, peu importe, mais on serait aussi loin que possible de la pensée de Pierre Leroux. À vrai dire, les contemporains de Leroux s’y pouvaient tromper, car de deux choses l’une : ou Victor Cousin avait un système, et dans ce cas, l’espèce de dictature intellectuelle qu’il exerça dix-huit années durant y trouvait à la fois son principe et son point d’appui ; ou Victor Cousin manquait d’orientation précise, et dans ce cas, l’on s’explique difficilement qu’il ait pu ou seulement prétendu imposer aux esprits une discipline intellectuelle quelconque. Pourtant, si nous en croyons Leroux, la difficulté ne serait ici qu’apparente, car Victor Cousin n’eut point de système, mais il sut se donner l’air d’en avoir un ; et tandis que cette âme sonore articulait, avec l’ampleur que l’on sait, les divers articles de son Credo, ceux-là qui l’écoutaient avaient l’impression qu’il disait quelque chose, et que dans l’édifice de ses phrases un système peut-être ou une doctrine, une idée à tout le moins était logée.

De fait, Victor Cousin a remué beaucoup d’idées, mais « il n’a jamais eu, — et c’est la seule chose qui importe, — de ses formules, et de l’usage légitime qu’on en peut faire, la profonde conscience qu’a de ses idées tout inventeur. » Et la chose s’explique aisément. « L’éclectique systématique, écrit Leroux, est un savant qui parle plutôt la philosophie qu’il ne la cultive. Supposez, en effet, un homme obligé d’enseigner la philosophie dans une époque de confusion comme celle de Potamon, ou celle de Juste Lipse, ou la nôtre, avant d’avoir pu se faire par lui-même, par les douleurs et les enseignemens de sa propre vie, une philosophie : il se passionnera pour la gloire de tous ces philosophes dont sa voix fait retentir les noms ; il voudra les égaler tous, les surpasser même, émulation très légitime sans doute ; mais leur désaccord l’embarrasse, faute de principes qui lui appartiennent ; il ne sait vraiment auquel entendre ; il passe de l’un à l’autre, et porte tour à tour leur costume ou plutôt leur livrée, comme ces savans de la Renaissance dont je viens de parler ; un beau jour, enfin, il s’avise, la lumière a percé la nue, il se fait éclectique par système. »