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On n’est pas plus mordant, tout en restant dans la vérité. L’on sait, en effet, qu’à peine âgé de vingt-quatre ans, Victor Cousin suppléa, à la Faculté des lettres, son maître Royer-Collard, et y enseigna l’histoire de la philosophie : de cette bonne fortune extraordinaire, on peut dire que les conséquences furent incalculables, puisqu’elle décida de l’orientation de l’enseignement philosophique en France. Victor Cousin devait rester toute sa vie une manière d’érudit très curieux des choses philosophiques, remarquablement apte à manier les idées, moins apte à en saisir le lien, toujours en quête d’un système, parce que professeur et pédagogue, et se donnant à lui-même, par un procédé d’auto-suggestion caractérisé, l’illusion d’en avoir un : « l’éclectisme de M. Cousin, insinuait Leroux, n’est sans doute pas autre chose que le nom pompeux donné par lui-même à ses variations successives. »

Lors même que, par une bienveillance insigne, l’on octroierait d’avance à la pensée de Victor Cousin le bénéfice de l’unité, le plus sommaire examen de ses Cours obligerait à en rabattre. « L’homme de notre temps, troublé jusqu’au fond de son être, demande ce qu’il faut croire ; il crie en grâce qu’on lui explique pourquoi, après Descartes, Locke et Condillac, pourquoi Spinoza et Malebranche, pourquoi Hume, Berkeley, Leibnitz et Kant, pourquoi Swedenborg et Baader ; il s’effraie de voir les folies de l’illuminisme répondre aux abjectes orgies du matérialisme ; il demande le mot des trois derniers siècles, la fin de ces tendances, de ces luttes, de ces systèmes contradictoires. Mais si vous ne pouvez pas lui dire ce dernier mot, lui indiquer cette fin des idées après laquelle il aspire, ne lui ôtez pas du moins l’espoir que la vérité existe virtuellement et se manifestera un jour. Car cette espérance est vraiment tout ce qui reste à celui qui cherche le beau et vrai, et qui se sent accablé du poids de tant de systèmes contraires. Eh bien ! c’est précisément cette dernière planche de salut, cette dernière ombre d’espérance que M. Cousin nous enlève de sang-froid et de gaieté de cœur. À la plainte universelle qui s’exhale du sein de notre époque, M. Cousin répond en régularisant, immobilisant, éternisant la lutte des systèmes. »

Vous entendez que l’esprit humain aspire à l’unité, et que de cette aspiration Victor Cousin a tenu compte, mais qu’il a été impuissant à la satisfaire, impuissant aussi à la comprendre. Il a essayé de faire de l’ordre avec du désordre, il a conçu cette chose