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naissance humaine. Y a-t-il un principe qui puisse réunir les hommes dans une foi commune ? Politiques, je vous le dis, attachez-vous à ce principe, et ayez-le toujours devant les yeux, car toute la politique est là, et tout l’avenir de la France est là aussi. »

Notez que ces lignes datent de l’année 1832, et qu’il fallait, pour les signer, être saint-simonien ou penseur de génie. Leroux, lui, n’était que saint-simonien ; mais encore n’était pas saint-simonien qui voulait ; il fallait du courage pour l’être, et il fallait du talent, beaucoup de talent. L’esprit de l’époque n’allait pas là ; des maîtres écoutés dans des chaires considérables prenaient ouvertement parti pour la diversité des sectes et le morcellement de l’opinion ; ils voyaient dans cette anarchie un progrès, et plus qu’un progrès, le milieu en quelque sorte normal et tout l’avenir de l’esprit humain. Rares étaient ceux qui y démêlaient une anomalie, ou qui, comme Auguste Comte, y apercevaient « le passage plus ou moins difficile d’un dogmatisme à un autre. » Ceux-là déploraient l’« individualisme » chronique qui dévorait, ainsi qu’un cancer, ce qui restait alors de société. « La société est en poussière, s’écriait Leroux ; et il en sera ainsi tant qu’une foi commune n’éclairera pas les intelligences et ne remplira pas les cœurs. »

C’est fort allègrement, du reste, qu’il entreprend d’éclairer ses contemporains abusés. Il les veut convaincre et non pas seulement ébranler. Il mobilise, à cet effet, avec les ressources variées de son tempérament oratoire, tout un arsenal d’idées et de formules ; il cause tour à tour ou déclame, il enseigne et discute, il s’émeut, sourit ou s’abandonne ; il défie et menace, il s’excite et exulte ; il apporte et jette dans le débat le produit de sa vaste lecture ; il est exégète et historien, psychologue et biologiste. Il est tout cela à la fois, ce qui ne va pas sans quelque confusion, et ce qui a beaucoup contribué à asseoir sa réputation d’esprit fumeux. Fumeux, il l’est sans doute, et singulièrement ! Pourtant, si l’on voulait user de charité envers lui, et le prendre comme il est, et ne le point rudoyer, mais essayer plutôt de le comprendre, l’on en serait très largement récompensé. Car il est peu d’écrivains que le problème religieux ait à ce point intéressés et tourmentés, et il en est moins encore qui aient dépensé à l’étudier plus de bonne foi, de science et de pénétration d’esprit.