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II


Au « syncrétisme » cousinien et à l’inconsistant « éclectisme » Pierre Leroux n’entend ménager ni les critiques ni les railleries ; il dépense même à ce jeu beaucoup d’esprit, et il y déploie des qualités peu communes ; mais il lui répugne de s’y tenir. Son ambition est d’un ordre assez particulier et fort élevé ; s’il bouscule ou maltraite l’éclectisme, ou s’il en médit agréablement, il a une excuse : l’éclectisme affadit les âmes et corrompt les intelligences, pour cette raison qu’il affecte les allures d’une solution alors qu’il est tout au plus un compromis, et qu’il installe et enracine le provisoire où la future synthèse eût pu germer. Car « il s’agit de synthèse, et non pas d’éclectisme, avance hardiment Pierre Leroux ; il s’agit de mettre un terme aux douleurs intolérables d’une époque où la philosophie aboutit au doute, la politique à l’individualisme, l’art à l’exaltation de l’orgueil, l’érudition à la satisfaction d’une vaine curiosité. »

« Voulez-vous, messieurs, vous organiser ? » Interpellés de la sorte par une manière d’inconnu, — il avait nom Saint-Simon, et l’on était en l’année 1812, — les membres de l’Institut marquèrent, dit-on, quelque surprise. Et l’inconnu de reprendre : « Rien n’est plus facile. Faites choix d’une idée à laquelle vous rapportiez toutes les autres, et de laquelle vous déduisiez tous les principes comme conséquences : alors vous aurez une philosophie. Donnez à l’une de vos classes la philosophie pour attribution. Chargez les membres que vous y admettrez de déduire ou de rattacher de ou à votre idée fondamentale tous les phénomènes connus ; et vous vous trouverez systématiquement organisés. » À l’instar de Saint-Simon son maître, Pierre Leroux proclame « la nécessité d’une nouvelle synthèse de toute la connaissance humaine. » Il écrit : « C’est folie de prendre les questions isolément, et de prétendre les résoudre chacune en elle-même, sans considération pour la cause générale qui les domine. Il faut aller à la source, comme Saint-Simon faisait dès 1812, et dire que la cause profonde de la crise qui désole la France et l’Europe est la dissolution du lien religieux, c’est-à-dire la dissolution de la con-