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sueur qui me perlaient au front. Mais quand on sortait de la forêt obscure, tout vivait, volait, vibrait, pantelait dans l’air léger et la lumière. Les ornithoptères grands comme des oiseaux, les souimangas plus mignons que des papillons, planaient au-dessus des fleurs, et tout au-dessus, à soixante mètres en l’air, dans les branches d’un Mesua géant, des mâles de paradisiers croassaient à gorge déployée, dansant, étalant les gerbes jaunes issues de leurs flancs, et les loris bariolés se querellaient dans les lianes.

Certes, ces modestes bois de Ceylan ne me fournissent point aujourd’hui de pareils spectacles. Mais vous me pardonnerez ces souvenirs qui m’assaillent, après vingt-cinq ans, et cela à propos de sangsues. Les buveuses de sang trouvent une proie facile dans le naturaliste qui travaille le plus souvent à genoux, penché sur la terre, débitant au couteau les vieux troncs pourris dont la tannée abrite tout un monde d’êtres fourchus, cornus, armés de scies, de vrilles, de tenailles. L’outil pacifique est souvent remplacé chez ces créatures par l’arme venimeuse. Beaucoup d’entre elles ne se contentent pas d’avoir l’aspect redoutable de cette thélyphone dont la région céphalique porte des bras épineux et dont l’abdomen se prolonge en soie déliée. Les scorpions et les scolopendres sont toujours prêts à accueillir la main imprudente par un coup de leurs cisailles empoisonnées ou une bonne piqûre de leur dard venimeux. Ces articulés malfaisans trouvent dans le terreau, que recouvrent des lambeaux d’écorce, à la fois le vivre et le couvert. Les grosses blattes chagrinées du genre Panhestia comptent parmi leurs victimes les plus habituelles. Mais ces coriaces orthoptères échappent souvent à l’ennemi, comme le prouvent les individus mutilés, à pattes tronçonnées, à abdomen entamé, que je vois s’enfoncer, vivement dans les trous.

Des insectes moins répugnans abondent autour d’un petit étang d’où s’échappe un mince ruisseau perdu sous les plantes aquatiques. A la surface tourbillonnent rapidement, par cercles des petites troupes d’un gyrin (Orechtochilus discifer). Chaque individu glisse sur l’eau comme un globule de mercure. De belles libellules jaunes ou orangées (Panthala flava) rasent les pointes des joncs, tandis qu’une autre, encore plus élégante, avec ses ailes variées de soufre et d’ébène (Libellula variegata) voltige autour des arbustes de la rive.

Mais je ne m’arrête là qu’un instant. C’est à la grande cicindèle,