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la décrivit au commencement du siècle dernier ne savait rien de ses mœurs. Walckenaër qui en parle, peu après, sur la foi de Seba et de Percival, ne s’aperçut pas qu’il confondait cette mygale avec une grande épeire du genre néphile. Et au bout de cent ans, nous ne sommes pas plus avancés. Je ne crois pas qu’un Européen ait jamais pris la Pœcilotheria. J’ai interrogé les indigènes. Ils m’ont répondu évasivement, m’ont apporté la bête, et c’est tout ce que j’ai pu obtenir. Nous croyons que la Pœcilotheria vit dans les cases des indigènes, qu’elle s’y tient dans les recoins les plus sombres et les plus humides, d’où elle sort peut-être le soir, attirée par la lumière, comme cette Heteropoda regia, puissante araignée du groupe des sparassides qui est aujourd’hui à peu près cosmopolite, au moins dans les pays chauds.

Je vous parle des bêtes qui viennent aux lumières. Le soir, autour du grand réverbère électrique qui se dresse à dix mètres en l’air devant le Queens Hotel, c’est une fête pour le naturaliste. La gerbe lumineuse, rabattue par un large abat-jour, inonde le sol sur un espace de trente pas. Les ombres des papillons nocturnes, projetées, tourbillonnent ainsi que des aigles qui mesureraient jusqu’à dix pieds d’envergure. Le spectacle est fantastique. Pour s’emparer de ces sphinx et de ces bombyx, un filet à manche long de neuf mètres ne serait pas de trop, si l’on pouvait le manier. Mais, de temps en temps, un insecte se laisse choir. Alors il convient de se presser, car on trouve là un concurrent dont l’activité peut faire échec à la nôtre. Des musaraignes grises (Pachyura murina, variété minor) s’avancent sournoisement dans la zone de lumière, trottent vivement, gobent le scarabée ou le capricorne et se perdent dans l’ombre avec leur proie... Un instant de plus, et la musaraigne me privait hier d’un des plus jolis coléoptères aquatiques du monde (Sandracottus festivus), dont les élytres sont marquetées comme une écaille de tortue. Je vous le dis en vérité, pour l’entomologiste, Kandy est un merveilleux pays. Mais en dehors des insectes on n’y voit presque rien, peu ou point d’oiseaux, aucun reptile...

Sans doute trouverez-vous que j’abuse un peu de l’histoire naturelle. Excusez mon ardeur. Voici près de cinq ans que je suis resté loin de cette faune indienne pour qui je nourris toujours la même affection. Cette petite excursion de naturaliste est une simple distraction avant que j’entreprenne dans l’Inde continentale