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Les lumières mouraient partout. L’obscurité nous enveloppait peu à peu. Seul le temple lumineux continuait d’avancer sur l’eau qu’il éclairait en rouge. Des fusées, de l’autre côté de l’étang, couronnaient, par instans, son pinacle d’une nuée d’étoiles filantes. Et je partis qu’il était deux heures du matin, ébloui, étourdi, charmé, énervé par les senteurs entêtantes des guirlandes de roses et de jasmin. Le long de la route, sous les grands arbres, les Hindous filaient par longues processions paisibles. Au milieu, les petites charrettes à bœufs grinçaient. Par les fenêtres carrées des boîtes peintes à fleurs se montraient des figures de femmes encadrées de voiles brillans. Toutes portaient sur leur front l’insigne sacré peint entre les sourcils, et certaines étaient si pâles qu’on les eût dites éclairées par la lune. Mais les sais, les pions, écartent la cohue des chariots, on bâtonne à tel point un zébu et son vindikarin récalcitrant que la pitié me prend. La femme qui se blottit, effarée, sous le berceau de son char, est tellement belle que je la laisse passer en avant et je passe au cou de son bœuf, aux cornes dorées, une guirlande de fleurs. Les roues continuent de crier, les gens de s’encourager, les clochettes de sonner, par un vieux reste d’habitude, on se range encore devant la voiture du Gouverneur. Les mendians nous escortent en nous implorant d’une voix lamentable, et l’un d’eux nous flanque en faisant la roue. C’est à croire qu’un des diables de la pagode daigne nous honorer de sa conduite. Il est suivi par quelques buccinateurs, dont les cuivres jettent la terreur parmi tous les bœufs attelés. Mais les chevaux laissent vivement tout cela derrière eux et, jusqu’à Pondichéry, nous retrouvons la paix majestueuse de la nuit. Seuls les oiseaux nocturnes donnent de la voix en coupant la route de leur vol silencieux et mou…


MAURICE MAINDRON.