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uniforme, semés par endroits de coquilles entières, brisées ou en débris aussi fins qu’une farine très grossière, d’un aspect analogue à celui des plages étendues que nous voyons au moment des fortes marées lorsque la mer découvre au loin ; les espaces changent de nature, tantôt assez brusquement, tantôt par une gradation lente ; ils alternent entre eux, réapparaissent après avoir disparu, laissant reconnaître de nouveaux gisemens de galets, de gravier ou de sable entremêlés de prairies herbeuses portant une végétation touffue d’algues marines brunes, vertes ou rouges, de varechs, de fucus, de laminaires, de zostères ondulant sous l’action des courans comme, dans nos champs, les épis se courbent et se relèvent alternativement au souffle du vent. Il verrait aussi des étendues de vase gluante, de couleur bleu-noirâtre, fétide comme celle des marais terrestres et, la végétation sous-marine disparaissant, ce voyageur entrerait dans la région des vases grisâtres plus profondes et plus éloignées de terre. Il foulerait alors une boue sèche, s’il est permis d’employer ce mot, sorte de sable très fin mélangé d’argile, sans cohésion, dont les grains, s’il en ramassait une poignée, glisseraient entre ses doigts et se montreraient presque uniquement composés de carapaces d’animaux ou de débris d’une infinie délicatesse de ces algues siliceuses qu’on nomme diatomées. Il parcourrait ainsi l’immensité des océans, sur un sol de constitution de moins en moins variable, ne découvrant de changement qu’en de rares points semés de débris volcaniques ou, d’autres fois, des plaines d’une boue argileuse bleuâtre prenant aussi une nuance rougeâtre, plus homogène et plus fine que les vases côtières. Au total, si ce voyageur se contente de regarder, il se sentira de nouveau saisi par un sentiment de lassitude intense, monotonie du relief des formes du terrain, monotonie du sol qui le porte, presque point d’imprévu, nul accident, une nuit épaisse, aucun bruit, un épouvantable néant.

Mais si ce voyageur, au lieu de contempler, étudie, si, ne se bornant pas à l’observation passive, il expérimente, agit et analyse cette poignée ou plutôt cette pincée de boue qu’il a ramassée en se baissant, s’il l’examine avec les yeux de son intelligence en même temps qu’avec ceux de son corps, alors le spectacle le plus admirable va brusquement s’ouvrir devant lui. Ces grains de sable, si menus que la plupart d’entre eux doivent être réunis au nombre d’environ vingt mille pour peser un seul milligramme, apporteront