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labeur et d’application. La Maison du péché est un de ces livres où un écrivain donne sa mesure, où un artiste manifeste toute sa personnalité et réunit dans un harmonieux mélange tous les élémens dont son art se compose.

C’est d’abord chez Mme Tinayre le talent du récit. S’il y a dans ses livres une part de réflexion, ou plutôt si l’on y devine toute sorte d’intentions, et si sa littérature est éminemment « tendancieuse, » elle sait que les idées doivent dans le roman fournir seulement l’atmosphère, qu’elles ne doivent jamais ni se présenter sous forme abstraite, ni s’étaler en dissertations, mais qu’un roman est avant tout une aventure contée de façon à nous intéresser, un chapitre de vie présenté de façon à nous émouvoir. Elle a le don de la vie, et les personnages qu’elle met en scène sont, non pas des entités, mais des êtres de chair et de sang ; ou, pour mieux dire, parmi ses personnages on fait aisément le départ entre ceux qu’elle a imaginés pour le besoin d’une thèse, et ceux qu’elle a transportés tout chauds de la réalité dans le livre. Par exemple dans la Maison du péché, M. de Chanteprie est un fantoche, fabriqué de toutes pièces, à coups de citations et de passages colligés dans les auteurs : pas une goutte de sang n’a jamais couru dans les veines de ce personnage schématique, et qui fait songer à ces préparations artificielles qu’on vend chez les spécialistes. Au contraire, Fanny, c’est la vie elle-même : il n’y a chez elle pas une joie et pas une colère, pas une souffrance, pas une volupté qui ne nous donne l’impression d’avoir été éprouvée. De même dans la Rebelle, j’essaie vainement de me représenter Noël Delysle, en face de cette Josanne Valentin, si individuelle, si ressemblante à elle seule ! De façon générale, les personnages d’hommes sont dans les livres de Mme Tinayre conventionnels et inexistans, les personnages de femmes sont débordans de vie. Et c’est bien ce qui nous y plaît.

Ces romans sont modernes, d’un modernisme très aigu : les idées et les situations, tout y est marqué à l’empreinte d’aujourd’hui ; on y devine, à un rare degré d’intensité, le goût de la vie actuelle et des choses de maintenant, l’aspiration à un nouvel ordre de choses. Et pourtant on n’y a jamais l’impression de se trouver dans un monde né d’hier, dans une société sans histoire. Au contraire l’image du passé y est sans cesse et partout présente. Elle nous apparaît inscrite sur le visage des vieilles demeures, qui reçoivent d’elle leur charme de tristesse et de poésie. « Ici on pense aux hommes du passé, à ceux qui élevèrent ces tours, à ceux qui hantèrent ces logis mornes, ces rues désertes. » Ce passé, c’est lui que nous retrouvons dans les croyances, dans les habitudes, dans les