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gestes hérités : il est au fond de chaque être et il n’a pas cessé de conserver toute son énergie et toute sa vertu. Qu’un jeune homme, tende de toutes ses forces intactes vers les joies d’une vie illuminée par l’amour, qu’une jeune femme prodigue toutes les ardeurs de la passion, tous les enchantemens de la tendresse et de la beauté ; quelque chose sera plus fort que l’attrait qui les entraîne l’un vers l’autre et que la commune volonté de ces vivans ; et ce quelque chose c’est une idée d’autrefois, c’est l’idéal de renoncement vers lequel s’efforçaient des hommes qui sont morts depuis longtemps. Une fois de plus se vérifie le mot que l’humanité est composée de plus de morts que de vivans ; du côté des morts est la force victorieuse.

Ces romans sont très parisiens, décrivant des coins fort spéciaux du monde parisien. « L’héroïne de la Maison du péché fréquente ce monde composite qu’on ne voit nulle part ailleurs qu’à Paris, ce monde qui touche à tous les mondes, où l’on trouve des artistes, des hommes de lettres, des amateurs, des bohèmes, des journalistes, des bourgeois intelligens, d’anciens ministres, de jeunes députés, de très honnêtes femmes et des femmes demi-galantes, des gens presque illustres et des gens presque tarés. » À vrai dire, je crois que la présence des très honnêtes femmes a été ajoutée ici pour la nécessité du contraste. Mais peu importe. La Rebelle est en quelque manière le roman de la femme journaliste : on y passe des bureaux du Monde féminin dans la salle d’un restaurant où de vagues étudiantes ont leurs habitudes : des chapitres entiers du récit ont une odeur d’encre et d’autres une odeur de crémerie. Mais autour de ce Paris il y a toute la province. L’action de l’Oiseau d’orage nous promène d’Oléron à Marennes et à Rochefort. Hellé a été élevée dans le domaine de la Châtaigneraie, situé dans le midi de la France. La maison où vécut Rosalba-Rosalinde se trouve à Haufort-le-Vieux, localité qui pour n’être pas très éloignée de Paris n’en est pas moins très provinciale. François Barbazanges n’est jamais sorti de la bonne ville de Tulle, et dans la Rebelle les meilleures pages sont celles qui dépeignent les ruelles de Chartres, à moins que ce ne soient celles où sont décrits les environs du Panthéon, cette province en plein Paris. De la province Mme Tinayre connaît les mœurs, l’esprit, le langage. Elle sait en dessiner les types et nous en fait entendre les propos. Le capitaine Courdimanche et Mlle Miracle sont des gens qui ont pris racine à l’endroit même où les a vus l’auteur : pour les rencontrer nous n’aurions qu’à faire le voyage, et nous pourrions aussitôt nous mêler à leur conversation. Des scènes provinciales aux peintures champêtres, la transition se fait comme d’elle-même.