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aux choses de l’autre monde ! C’est lui qui a empoisonné nos joies, lui qui a terni les couleurs brillantes de l’éternelle Isis en projetant sur toutes choses l’ombre de la mort. Aussi est-ce contre le christianisme que l’auteur d’Hellé et surtout de la Maison du péché, a concentré tout son effort. Pour le mieux combattre elle l’évoquera sous la forme la plus rigoureuse, la plus opposée à notre moderne façon de sentir, et qui semble la plus inhumaine. Elle imaginera, comme une vision de cauchemar, elle fabriquera comme un monstre pour faire peur aux gens, un christianisme sombre, farouche, de la conception duquel elle élimine tout ce qui n’est pas l’anathème jeté aux voluptés charnelles. Elle l’incarnera tantôt dans le personnage de M. Forgerus, le précepteur de M. de Chanteprie, auquel est réservé le rôle de devenir un jour son bourreau, tantôt dans celui de Mme de Chanteprie, la mère, vieille dévote abêtie par les pratiques, et tantôt enfin dans celui du jeune Chanteprie, faible, hésitant, et pour qui il nous est bien impossible de ne pas éprouver la pitié qu’inspire toujours le spectacle de la lâcheté. Et afin que nous conservions contre ce christianisme une plus complète et plus durable rancune, c’est lui qui sera définitivement vainqueur ; c’est lui qui mettra au supplice les êtres qui nous sont devenus chers ; c’est lui qui tuera M. de Chanteprie et jettera sa maîtresse à l’abjection. Encore, le dogme étant posé, peut-on comprendre les préceptes de la morale religieuse. Mais au nom de quels principes, la morale profane peut-elle absoudre ou condamner ? N’est-il pas scandaleux qu’il y ait un code des convenances auquel il est aussi dangereux de se heurter qu’aux tables mêmes de la loi ? Les convenances, voilà ce qui fait que les jeunes filles reçoivent une éducation si misérable ; les convenances et aussi les sentimens de famille. Songez qu’on les élève en vue de la famille ! Cela est proprement un crime. « On concentre sur le foyer familial toutes les énergies de l’âme féminine, et c’est pourquoi elle ne voit rien au delà… Il n’est point de famille qui ne se croie frustrée, si la femme ne s’asservit à elle uniquement. C’est la tare du sentiment familial, cet égoïsme à plusieurs. » Les héroïnes de Mme Tinayre ne sont pas élevées de cette façon pudibonde, égoïste, timorée d’autant que l’auteur a soin de ne les former que par une discipline toute masculine. Hellé est confisquée par son oncle, un vieil helléniste, qui la soustrait à toute influence religieuse et s’applique à faire d’elle une païenne. Fanny, fille d’un artiste est lancée par lui dans un monde d’artistes et de gens de lettres. « On a remué beaucoup d’idées devant moi. Que de paradoxes bizarres, que de discours singuliers et profonds j’ai entendus quelquefois ! » Ceux qui avaient connu le père de Fanny ne laissaient