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pas de concevoir quelques inquiétudes : « N’avait-elle pas elle-même posé demi-nue et peut-être toute nue devant son père qui l’aimait un peu, beaucoup, passionnément ? » Les mères de famille n’aiment pas beaucoup ce genre de jeunes filles, quand il s’agit de choisir une compagne pour leurs fils. Aussi les mères sont-elles fort malmenées dans les romans de Mme Tinavre, et le moindre danger qu’elles courent c’est d’y être représentées comme ridicules. — Religion, morale, convenances, sentimens de famille, c’est en les répudiant qu’on est la « femme des temps nouveaux. »

C’est ce type que nous voyons se développer à travers les trois romans principaux de Mme Tinayre. Hellé est une jeune fille, chef-d’œuvre d’une éducation saine : elle a été tenue en garde contre toutes les idées de devoir, de sacrifice, et autres « mensonges conventionnels. » Le moment venu de se marier, elle arrête son choix sur un certain Antoine Genesvrier, orateur d’Universités populaires et beau ténébreux de l’intellectualisme, tout prêt pour jouer dans les romans féministes le rôle que tenait dans ceux de M. Georges Ohnet le jeune ingénieur. Souhaitons que pour cet austère réformateur l’apostolat n’ait pas été tout bonnement, comme pour tels de ses pareils, un moyen bien moderne de courir la dot. Pourtant nous ne sommes pas très rassurés. Comme toutes les personnes sans éducation, Hellé confond le manque d’usages avec la noblesse du caractère. Elle se prépare des déceptions. — Fanny Manoli est veuve d’un affreux mari et vit dans un monde interlope. C’est une personne très avertie. Elle apparaît un beau jour et pour la troubler dans la chaste existence du jeune de Chanteprie, car dans ces romans ce sont les femmes qui ont « vécu », et les hommes qui sont innocens. Fanny n’épousera d’ailleurs pas cet Eliacin ; l’auteur s’est rendu compte que c’eût été tout de même trop fort ; elle s’est contentée de nous apitoyer sur le compte de sa malheureuse héroïne. — Dans la Rebelle, au contraire, elle n’a pas accepté que Josanne fût une sacrifiée ; elle l’appelle à la révolte pour la récompenser finalement. C’est ici que nous voyons la « femme nouvelle » dans l’exercice de ses droits. Josanne est mariée à un homme qui n’a vis-à-vis d’elle aucune espèce de tort, sauf celui d’être malade : elle prend pour amant un jeune homme bien portant, et un enfant étant né de leurs amours, elle en fait endosser à son mari la paternité. Devenue veuve, elle consent à faire le bonheur d’un certain Noël Delysle, en lui apportant ce passé et cet enfant dont il sera le troisième père. C’est donc que la femme nouvelle fait exactement ce que faisaient ses aînées, quand elles se conduisaient mal. Mais elle réclame en outre la considération !… Le féminisme, ainsi compris,