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Et la campagne était conduite avec tant d’adresse, les laïcisateurs de l’histoire de l’art mettaient tant de sympathie et de déférence à congédier Fra Angelico de la peinture italienne de son temps pour le reléguer dans l’imagerie pieuse, que leur entreprise était sur le point de réussir, lorsque d’éloquentes protestations se sont élevées, de tous les coins de l’Europe, qui auront certainement pour effet de rendre désormais plus difficile la dépréciation artistique du vieux maître toscan. Presque simultanément, des écrivains de tous les pays ont proclamé la fausseté absolue des reproches adressés à l’œuvre de Fra Angelico. Ils ont montré, le plus clairement du monde et le plus aisément, que le moine de Saint-Marc était bien un peintre, et un peintre de son temps ; que, loin d’ignorer l’art de ses contemporains, et même l’antique, il s’en est inspiré autant que personne ; et que ce prétendu retardataire, ce « dernier giottesque, » n’a jamais cessé, durant sa longue vie, de modifier à la fois sa conception artistique et ses procédés. Mais surtout, ces écrivains se sont attachés à établir que Fra Angelico a toujours très assidûment observé la « réalité visible, » et que, sous ce rapport, pas un des peintres florentins de son époque ne l’a dépassé : pour le justifier de l’accusation de « mysticisme, » qui était l’un des prétextes invoqués par ses détracteurs, ses défenseurs nous l’ont surtout représenté comme un « naturaliste. » Et aucun d’entre eux ne l’a fait avec plus d’autorité qu’un éminent historien anglais, M. Langton Douglas, dans un gros livre qui abonde en vues ingénieuses sur l’évolution du talent de Fra Angelico et sur la date probable de ses divers ouvrages[1].


D’un bout à l’autre de son livre, M. Langton Douglas a travaillé à nous démontrer que, suivant son expression, Fra Angelico avait été « un artiste, qui, en même temps, se trouvait être un saint ; » et dans la minutieuse étude qu’il a faite de ses peintures, notamment, rien ne lui a semblé aussi important que de relever la valeur « naturaliste » de ces peintures, la justesse de la perspective et du modelé, la fidélité des portraits, la vérité des paysages, comme aussi la tendance croissante du maître à imiter les formes nouvelles créées par les architectes et les sculpteurs de son entourage. Un peintre florentin de la Renaissance, un rival de Masaccio et de Castagne, de Domenico Veneziano et de Masolino ;

  1. M. Langton Douglas est également l’auteur d’une très intéressante Histoire de Sienne, dont j’ai eu déjà l’occasion de parler. (Voyez la Revue du 15 mars 1903.)