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tel nous apparaît Fra Angelico, dans le savant ouvrage de son biographe anglais. Nous le voyons errer, le crayon en main, par les rues de sa ville, tantôt s’arrêtant devant l’une des portes du Baptistère, tantôt dessinant, au passage, le costume pittoresque de l’un des Orientaux venus à Florence pour le Concile de 1438 ; ou bien encore se promenant parmi les chantiers de Saint-Marc avec l’architecte Michelozzo, et se réjouissant de pouvoir recueillir les avis de ce savant homme. Depuis le Couronnement de la Vierge du Louvre jusqu’aux fresques du Vatican, nous le voyons se pénétrer, toujours plus à fond, de la double influence de la nature vivante et du génie antique.

Tout cela est d’une certitude historique incontestable : je ne crois pas que quelqu’un, après le livre de M. Douglas, puisse s’obstiner à tenir le moine de Saint-Marc pour un imagier de sacristie, étranger à la révolution artistique de son siècle, ni à l’accuser d’avoir « perçu vaguement » les couleurs et les formes de l’univers visible. Et cependant, nous nous étonnons de découvrir que tout cela, avec son évidence parfaite, ne nous touche guère. Nous sommes heureux d’apprendre que Fra Angelico a été un bon peintre, possédant tous les artifices de son métier au moins aussi bien que l’odieux Castagno, que M. Berenson nous invitait à lui préférer : mais nous sentons que, si même il avait possédé ces artifices à un plus haut degré, s’il avait eu deux fois plus de science et d’habileté de main, son œuvre n’en aurait pas moins gardé un caractère propre, qui l’aurait mise à part de toute l’œuvre des autres maîtres florentins de son temps. Et si même il avait eu moins de science et d’habileté, si même il avait ignoré Masaccio et Michelozzo, nous sentons que son œuvre aurait encore conservé ce caractère particulier qui nous ravit en elle, qui la distingue de tout l’art de Florence, et que les consciencieuses analyses de M. Douglas ne réussissent pas à nous définir.

Ces analyses nous révèlent que le maître que nous aimons, en plus de ce que nous aimons chez lui, « s’est trouvé être un grand peintre ; » elles nous renseignent, pour ainsi parler, sur l’excellente qualité de la langue artistique dont il s’est servi. Mais elles ne nous renseignent pas sur les choses qu’il a dites, dans cette belle langue ; et je craindrais même plutôt que, pour avoir trop exclusivement étudié le « naturalisme » de Fra Angelico, le livre de M. Langton Douglas ne nous fît perdre de vue la portée supérieure de l’œuvre du vieux maître. À vouloir ne considérer celui-ci que comme un observateur de la nature et un traducteur de la « réalité visible », on risque, décidément, de négliger sa véritable grandeur, les vertus spéciales auxquelles il doit d’être, pour nous, une