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Il a été un « poète », le plus merveilleux poète de toute la peinture. Il a reçu du ciel, miraculeusement, une âme douée de la faculté d’embellir aussitôt les objets que lui montraient ses yeux ; et j’imagine que, fût-il né païen, eût-il été incrédule, l’œuvre qu’il nous aurait laissée aurait eu, le même pouvoir magique de chanter dans nos cœurs. Mais les circonstances de sa vie lui ont permis, en outre, de développer de la façon la plus heureuse et la plus féconde ce génie poétique qui était en lui. Au sortir d’une éducation tout imprégnée de ferveur franciscaine, l’éloquence de Dominici l’a animé, pour toujours, d’une piété qui s’est trouvée lui être un trésor inépuisable de visions émouvantes et de rêves fleuris. Et puis, lorsque, ayant achevé ses études de prêtre, il a pu recommencer son apprentissage d’artiste, la Providence l’a arraché au milieu, essentiellement prosaïque, de l’art de Florence, pour le transporter sous le ciel de l’Ombrie, pour lui révéler l’art des maîtres siennois. Les collines de Foligno, les Vierges de Simone Memmi, ces deux fontaines de poésie se sont ouvertes à lui, et l’ont enivré : de telle sorte que, revenu ensuite à Florence, il n’a plus eu qu’à apprendre, des maîtres locaux, le moyen de traduire, dans leur langue, des spectacles aussi différens que possible de ceux que percevaient ces savans ouvriers. Eux et lui avaient à figurer les mêmes sujets ; et il s’est toujours ingénument efforcé d’imiter, de son mieux, la manière qu’ils avaient de les figurer ; mais tandis que les uns d’entre eux voyaient le monde extérieur tel ou à peu près, qu’il apparaissait à l’ordinaire des hommes de ce temps, et que d’autres, hélas ! le voyaient plus laid, — méconnaissant, par exemple, sa couleur, ou n’ayant d’attention que pour le jeu des muscles, — ses yeux de poète ne pouvaient pas s’empêcher de le voir plus beau. Le visage humain, pour lui, avait une pureté de lignes, une profondeur d’expression vivante, que personne que lui n’a jamais su y lire ; et jamais personne, depuis le Pauvre d’Assise, n’avait senti comme lui l’unité mystérieuse de la nature créée, l’universelle harmonie intime des hommes et des choses. Si son œuvre nous apporte aujourd’hui plus de lumière et plus de musique que celle de tous ses confrères florentins, ce n’est point qu’il ait différé d’eux en maîtrise technique, ni, non plus, que sa sainteté lui ait révélé des secrets théologiques qui leur étaient cachés : c’est simplement qu’il avait une âme et des yeux d’une autre qualité que les leurs. Ils peignaient, pour ainsi dire, en prose, mettant d’ailleurs à leur peinture tout ce que leur subtile intelligence leur fournissait de savoir théorique, d’observation réaliste, et d’ingéniosité : et lui, égaré parmi leur prose, il était un poète.