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s’exhale de lui. Car les exemples ne manquent pas, dans l’histoire des peintres, d’hommes sages et bons, et adroits dans leur art, qui, croyant de tout leur cœur à la vérité céleste des histoires qu’ils représentaient, ont toujours travaillé pour la gloire de Dieu : mais il n’en reste pas moins que leur peinture, pour différente qu’elle soit de celle d’un manœuvre grossier comme Castagno ou d’un jovial compère comme Filippo Lippi, diffère plus encore de l’adorable peinture de Fra Angelico.

Est-ce donc que celui-ci, à la faveur de sa sainteté, aurait traité d’autres sujets, ou bien aurait traité ses sujets plus religieusement ? M. Cochin nous affirme, plusieurs fois, que « la pensée de l’Angelico appartient à la plus haute métaphysique religieuse : » mais il ne nous explique pas ce qu’il y avait, dans cette pensée, de « métaphysique ; » et je crois, en vérité, qu’il aurait quelque peine à nous l’expliquer. Je ne sache pas que la « théologie catholique », dont il nous parle volontiers à propos de l’œuvre de l’Angelico, soit sensiblement plus savante, ou plus, étendue, dans cette œuvre, que dans celle de tous les autres peintres religieux du quattrocento. Tout à fait comme eux, le moine-peintre s’est borné, invariablement, à illustrer les récits des Evangiles et de la Légende dorée, et sans se défendre plus qu’eux de prêter à ses saints les traits d’un Côme de Médicis ou d’un Michelozzo. Il n’a même jamais tenté de traduire, en peinture, une allégorie théologique, du genre de celles qu’a traduites Giotto, à Assise et à Padoue, ou de celle que nous trouvons figurée, au Louvre, dans le Saint Thomas de Benozzo Gozzoli. Aucune peinture n’est, Dieu merci, plus exempte de visées philosophiques que celle du saint moine ; et quant au « parfum de piété » qu’elle semble nous offrir, je rappellerai seulement qu’on a cru, longtemps, reconnaître un parfum analogue dans l’œuvre du mécréant avéré qu’est le Pérugin.

Fra Angelico a été, tout ensemble, un grand peintre et un saint : et nous nous félicitons de pouvoir désormais le connaître sous ce double aspect. Mais ni sa science de peintre ni sa sainteté ne suffisent, décidément, à nous dévoiler le secret de son œuvre. Il y a, dans cette œuvre, quelque chose de plus que dans celle de ses confrères les plus savans, ou les plus dévots : et, si sa très haute valeur technique et la naïve ferveur de son expression religieuse contribuent, sans aucun doute, à renforcer le plaisir qu’elle nous donne, nous sentons que ce plaisir lui-même nous vient d’une autre source. Pour nous ravir depuis cinq siècles comme il nous ravit, Fra Angelico doit avoir été autre chose encore qu’un grand peintre et un saint.