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salaire élevé, on ne doit pas s’en étonner. Ceux qui ne se félicitent pas de l’arrivée des Italiens en Tunisie doivent tout au moins s’y résigner. Les deux élémens peuvent vivre côte à côte et, à la longue, se fondre. On s’efforce d’attirer un plus grand nombre de Français par l’appât de petits lots de terres : en dehors des efforts officiels, les essais méthodiques de métayage et de petites fermes françaises faits par un ancien professeur au lycée de l’unis, qui a fondé une société ayant cet objet, M. Saurin, ont donné de bons résultats. On détermine une proportion d’ouvriers français, 28 à 25 pour 100, de la main-d’œuvre européenne qui doivent être occupés sur les divers chantiers publics.

On a demandé et cela serait admissible, que tous les cantonniers de routes et de chemins de fer fussent Français. On devrait s’efforcer de franciser graduellement une partie des Italiens : l’école et l’Église aussi pourraient y aider. Malheureusement on a importé en Tunisie la déplorable loi contre les congrégations ; et l’Église y est complètement séparée de l’Etat, ce que l’on regrettera un jour prochain : on se prive ainsi de moyens d’influence sur l’âme catholique étrangère. Sous la troisième République, comme sous l’ancien régime, les passions sectaires font obstacle à la colonisation française. Nous avons un autre tort, celui de n’octroyer notre nationalité qu’avec une avarice des plus mesquines : en 1905, il n’a été accordé en Tunisie que 59 naturalisations, dont 38 à des hommes et 21 à des femmes ; parmi ces naturalisés, 42 étaient Italiens, 7 Anglais, 3 Maltais, 3 Espagnols, 1 Alsacien-Lorrain, 1 Autrichien, 1 Suisse ; il en reste un, dont on ne donne pas l’origine : en y joignant 84 enfants mineurs, on a, avec les membres des familles, 143 naturalisations : ce nombre pourrait être triplé sans inconvéniens. La bigarrure de la population du pays impose certaines précautions : ce serait une erreur, par exemple, d’importer à l’heure actuelle les syndicats ouvriers et toute notre législation ouvrière en Tunisie. On ne saurait trop se garder, en ce milieu si différent du nôtre, d’introduire la généralité de nos lois récentes. De même, la transformation dernièrement effectuée de la Conférence consultative n’est pas sans inconvéniens graves : l’introduction et l’expansion du suffrage universel, quand l’élément français est si restreint, apparaît comme une dérision, et une source éventuelle de conflits avec les autres nationalités.