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VI

Si certaines critiques doivent s’élever contre notre œuvre dans le Nord de l’Afrique, si nous y avons commis ou y commettons quelques imprudences, il n’en est pas moins vrai que, dans l’ensemble, cette œuvre est féconde et digne d’éloges. Un grand nombre de Français, de « coloniaux » surtout, avaient rêvé de compléter la possession de l’Algérie et de la Tunisie par une mainmise de la France sur le Maroc. Nous n’avons jamais, quant à nous, eu ce désir : il faut proportionner ses domaines à ses ressources et à ses moyens d’action ; l’extension excessive d’une aire d’occupation risque plutôt d’ébranler et de disloquer une colonisation que de la consolider. La France s’en est aperçue, au XVIIIe siècle, dans l’Amérique du Nord et aux Indes : il ne faudrait pas renouveler cette faute en Afrique. Que nous ayons notre part légitime, même prépondérante, d’influence au Maroc, que nous veillions à ce qu’il ne s’y établisse aucune autorité hostile, cela doit nous suffire. Voilà la thèse que depuis vingt ans nous avons toujours soutenue.

La conférence d’Algésiras, qui vient de clore ses laborieux travaux, n’est donc pas pour déplaire aux c’coloniaux » prévoyans. Elle consacre, par l’assentiment de toutes les puissances, nos droits sur la frontière algéro-marocaine, et notre « situation spéciale » dans le reste du pays : aucune influence étrangère hostile ne prendra pied dans cette contrée pour menacer notre sécurité dans nos anciennes possessions. Nous pourrons nous livrer à une véritable et inoffensive « pénétration pacifique, » sans prendre la responsabilité redoutable d’établir l’ordre dans tout le Maroc.

Nos regards devraient maintenant se porter, non plus exclusivement vers l’Ouest, mais vers le Sud. L’Algérie et la Tunisie, outre leur valeur propre, ont une valeur adventice et considérable comme formant la base naturelle de la pénétration dans tout le continent africain. Ce sont les portes de l’Afrique ; jusqu’ici nous les avons à peine entre-baillées. Nous continuons à nous contenter de deux groupes de domaines dispersés, l’Algérie et la Tunisie, d’une part, le Soudan central de l’autre. Il nous serait si facile, et relativement si peu coûteux, à l’imitation de tous les peuplés