Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Tagaste était le centre de deux évêchés, l’un catholique et l’autre donatiste.

Dans l’Afrique proconsulaire et dans la Numidie, en Maurétanie et en Espagne, en Grande Bretagne et en Gaule, dans la Campanie et dans les Fouilles, dans la Cispadane et dans la Transpadane, Mélanie était propriétaire. Son chiffre de revenus s’élevait, ce semble, à 120 000 livres d’or, c’est-à-dire à 116 millions 640 000 francs. De tels chiffres revêtent l’histoire d’une apparence de féerie ; l’esprit en demeure étonné. Même après avoir lu, dans les prédicateurs de l’époque, la description du faste exorbitant auquel s’abandonnait le patriciat romain, on est pris de court, encore, si l’on essaie de se représenter la circulation de ces gigantesques dividendes et les incommensurables prodigalités auxquelles ils devaient pourvoir. Ici Gerontius cesse de nous renseigner : il ne jette aucune lueur sur la façon dont une mondaine milliardaire, au début du Ve siècle, parvenait à dépenser le revenu de ses deux ou trois milliards. Pourrait-on d’aventure suppléer à son silence en lisant Ammien Marcellin ou bien les sermonnaires d’alors ? Nous hésitons à le croire : Ammien, profondément aigri contre une société qui ne semblait l’avoir aimablement accueilli que pour le tenir ensuite à distance[1], esquisse des tableaux où vraiment il entre trop de bile ; quant aux sermonnaires, c’est presque une loi de leur genre, d’exagérer les sottises de la vanité pour les rendre plus haïssables ; l’histoire, en consultant leurs discours, doit tenir compte de leur parti pris naturel contre le péché et se souvenir, aussi, que la chaire est dressée pour les censures beaucoup plus que pour les complimens. Ni les sermonnaires, ni Ammien, ne peuvent donc satisfaire notre curiosité, jalouse d’apprendre comment le père et la mère de Mélanie, chrétiens vertueux et d’ailleurs attachés à la vie profane, utilisaient leur écrasant budget ;

  1. Voyez G. Boissier, op. cit., tome II, p. 247 et suiv. — Ce n’est pas aux lecteurs de la Revue qu’il est besoin de rappeler les deux volumes dans lesquels M. Boissier, avec une sorte de familiarité pressante, s’est mêlé à l’intimité des chrétiens, des païens et des indifférens. Comme il n’est meilleure façon de saisir la pensée d’autrui, que d’aborder autrui avec cordialité, M. Boissier, cordial pour saint Ambroise non moins que pour Symmaque, et pour Prudence non moins que pour Ausone, a pu tracer de la fin du paganisme un tableau très nuancé et connaître les esprits de ce temps mieux peut-être qu’eux-mêmes ne se connaissaient.