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Dans une page pénétrante de son Histoire de l’esclavage, M. Wallon a noté l’importance prise à la fin de l’Empire par le mot obsequium, et il ajoutait :


C’est le droit de l’esclavage qui gouverne maintenant le citoyen, et nous avons retrouvé toute la législation propre aux esclaves dans les règlemens qui concernent sa personne, sa famille ou ses biens... La fatalité de la naissance, telle est la loi suprême de l’Empire. Formée par ce dur travail, si longtemps en honneur parmi les races italiques, Rome avait traversé la civilisation de la Grèce pour en venir au régime des castes de l’Orient. Elle avait rejeté les principes de son ancienne constitution pour s’appuyer sur l’esclavage et elle aboutissait à la servitude universelle[1].


La jeune Mélanie et son mari Pinianus croyaient que briser cette servitude était l’ordre du Christ. Mineurs l’un et l’autre, alors même qu’ils eussent obtenu une dispense d’âge leur permettant d’administrer personnellement leurs biens, il leur était impossible de vendre des immeubles ou des terres sans un décret du juge. Issus de souche sénatoriale, il fallait en outre, pour qu’ils pussent diminuer leur train de fortune, une cause reconnue plausible, causa actis probata, dit le Code Théodosien. Or l’opinion du temps comprenait mal que la vocation chrétienne pût être un motif légitime de renoncement ; elle était toute prête à applaudir, dans l’Église même, certains dissidens comme Helvidius, Jovinien, Vigilance, dont les écrits théologiques détruisaient l’idée de continence et de mortification ; et si le christianisme, tel que Mélanie et Pinianus le concevaient et le pratiquaient, les détachait des biens de la terre, la loi et le Sénat, de force, persistaient à les y attacher.

On avait vu, peu d’années auparavant, Paulin d’Aquitaine et sa femme Thérèse, rusant sans doute avec ces difficultés légales, vendre progressivement leurs propriétés d’Espagne, afin de se donner « comme postérité leurs bonnes œuvres. » « Que viens-je d’apprendre ! écrivait alors saint Ambroise. Et que diront les patriciens ? Un homme d’un telle naissance, d’une telle famille, de tant d’éloquence et de génie, déserter le Sénat, et interrompre la succession d’une noble race, c’est intolérable. Vous les verrez raser leurs sourcils et leurs cheveux pour assister aux mystères

  1. H. Wallon, Histoire de l’esclavage dans l’antiquité, tome III, p. 219.