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laquelle l’enchaînent ces biens de la terre si follement enviés, étaient alors rigoureusement exactes ; et les juristes intervenaient, sans merci, pour enfermer dans leur opulence, comme dans un cachot, les chrétiens à qui la pratique des conseils évangéliques paraissait un attrait. On incline à s’étonner beaucoup, aujourd’hui, lorsqu’on entend parler de cet édit Pacca, en vigueur encore dans la Rome contemporaine, qui interdit aux vieilles familles d’aliéner leurs richesses d’art : de par la loi, et pour éviter que les trésors artistiques de l’Italie ne soient dilapidés, le patricien romain est, si l’on ose ainsi dire, serf de sa galerie de tableaux. Des contraintes analogues, et singulièrement plus rigoureuses, et singulièrement plus importunes, étaient universelles à la fin de l’Empire romain. Le bourgeois aisé ou le paysan aisé, — le « curiale, » comme l’appellent les textes, — n’avait pas le droit de vendre ou d’abandonner ses terres, puisqu’il était responsable, dans la municipalité qu’il habitait, du paiement intégral de l’impôt, et chargé, par surcroît, de certaines fonctions passablement onéreuses : ce riche était un serf. Les membres de familles sénatoriales, à leur tour, étaient légalement passibles de certaines obligations correspondantes à leur train de fortune, légalement obligés d’exercer, de temps à autre, la préture et de payer à ce titre les fêtes resplendissantes et les jeux extravagans que le peuple réclamait : la conservation de leur patrimoine paraissait nécessaire pour l’amusement des citoyens, comme paraissait nécessaire l’aisance du curiale pour la solvabilité d’autres citoyens.

Au nom de l’esprit de fraternité humaine, et partant de ce principe que les biens de la terre sont « communs à tous quant à l’usage, » la théologie-catholique grève la propriété d’une certaine dette sociale et s’efforce ainsi d’assurer l’assistance et quelque dignité de vie à ceux qui ne possèdent pas. Rien de commun entre cette dette sociale et les charges que la société païenne expirante imposait à la propriété. Elles n’avaient d’autre but que le divertissement de la plèbe, non point le soulagement et le relèvement de la famille humaine ; et, cependant, dépassant en lourdeur les plus douloureuses hypothèques, il semblait qu’elles fussent édictées pour l’éternité, qu’à jamais la loi prohibât au curiale toute perspective de voyage, et qu’à jamais, elle emprisonnât dans leur luxe les familles sénatoriales qui, devenues chrétiennes, voudraient contracter alliance avec Dame pauvreté !