Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Personne n’y tient un train de grand luxe, à l’exception du gouverneur général.

Il est surprenant que l’exploitation d’un pays neuf, pourvu de grandes ressources, ne donne pas naissance à de rapides et considérables fortunes. Entre diverses raisons la principale consiste, du moins actuellement, dans les obstacles que rencontre la concentration des capitaux privés ou simplement l’accumulation des bénéfices. C’est le résultat inévitable de l’extension des attributions d’un gouvernement démocratique.

En Australie, la vanité de paraître existe comme partout ; mais la vanité n’est pas toujours un levier suffisant pour mettre en mouvement les gros revenus. Il est bon que l’intérêt s’y joigne. Or, il est inutile de soutenir une réputation d’opulence, à titre d’instrument accessoire de crédit, si l’on n’entrevoit aucune grande affaire à lancer, aucune combinaison importante à réaliser. En somme, d’une part, rareté des grandes fortunes ; de l’autre, peu d’inclination aux dépenses somptueuses.

Or, quoi qu’on puisse dire de l’immoralité du luxe et des facultés dissolvantes de l’argent, il est certain que les grandes dépenses des particuliers sont un facteur très actif des relations sociales. Elles ne les améliorent pas, mais elles les multiplient. Par le simple fait des rapprochemens, elles facilitent des rapports personnels et dans des conditions agréables, entre les privilégiés de la naissance, les parvenus de la richesse et les arrivés de l’mtelligence ou du savoir faire. Une société dans laquelle ce facteur n’existe pas est privée d’un élément presque nécessaire : le cercle dans lequel se meuvent ses idées est plus restreint et elle tend à s’immobiliser en coteries. La société australienne subit cet inconvénient. Très différente de la société américaine, elle l’est beaucoup moins de la société anglaise. Cette fille d’Albion a largement hérité des qualités et des défauts de sa mère. Je n’énumérerai que les qualités qu’elle a trouvées dans cet héritage. Ce sont : la foi inébranlable dans les destinées nationales, le respect de la loi et de ses agens, la prudence à contracter des engagemens, la patience à recommencer les expériences malheureuses, l’art de jeter un voile sur ses propres défaillances, et le sang-froid en présence des désillusions ou même des calamités. Quant aux usages, aux préjugés, aux opinions générales sur le monde extérieur, ce sont presque les mêmes en Australie en Angleterre.