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aux dépens du Pape ? Consalvi craignait encore, le 15 mai, que les diplomates ne s’éloignassent de Vienne sans avoir dit leur mot sur ces diverses questions, et qu’en Europe la situation de tous ne fût réglée, sauf celle du Pape.

Il s’en fut voir Metternich, à plusieurs reprises, et parla ferme. Un des entretiens dura deux heures, et lui occasionna « une sueur de sang ; » mais chaque visite de Consalvi à Metternich gagnait au Pape un peu de terrain. « Nîsi Deus adjuverit, écrivait-il à Pacca, le 9 mai, Votre Eminence peut être assurée que je donnerai un coup d’épée dans l’eau[1]. » Mais le pessimisme de Consalvi laissait son courage intact, et les coups d’épée qu’il donnait déchiraient sans pitié la trame d’argumens dilatoires qu’on s’essayait à lui opposer. Pour laisser au Pape, à des titres divers, les Marches et les Légations, Metternich n’avait qu’à demeurer fidèle à ses promesses de naguère ; il était trop soucieux d’une exacte harmonie, en Italie, entre l’Autriche et le Saint-Siège, pour que cette fidélité lui coûtât beaucoup. En ce qui concernait Bénévent, c’est Consalvi lui-même qui donna l’idée d’une combinaison. « J’ai proposé un accommodement, raconte-t-il : le Roi donnerait en argent à M. de Talleyrand l’équivalent de Bénévent, qui serait rendu au Pape, ou à tout le moins trouverait-on pour le Pape, sur la frontière, une compensation équivalente… Le grand tapage que j’ai fait et que je continue à faire sans respect humain et avec les expressions de la réprobation la plus grande, ne sera pas, je l’espère, sans utilité[2]. «  Peu de jours après, Metternich expliquait à Consalvi : « M. de Talleyrand réclamait six millions pour Bénévent, mais nous les réduirons à deux, le roi de Naples ne peut assumer la charge de toute cette somme, et nous ne pouvons pas la lui imposer, car pour donner au Pape Ponte Corvo, il nous a fallu amener la Russie, qui voulait à tout prix attribuer ce territoire au prince Eugène, à se contenter qu’on donnât de l’argent à celui-ci, et cet argent, nous le mettons à la charge du roi Ferdinand. Le Roi, donc, veut être soulagé d’une partie de cette somme de deux millions, qu’il devra payer à M. de Talleyrand, et il a été convenu que le Roi donnerait un million et demi, et le Pape cinq cent mille francs[3]. » Ainsi fut dénoué l’incident qui avait failli

  1. Rinieri, V, p. 575.
  2. Ibid., p. 609.
  3. Ibid., p. 716.