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mettre aux prises le Pape et le Bourbon de Naples : Consalvi consentit à ce sacrifice pécuniaire, et un article secret stipulait que le Pape se prêterait à l’échange de Bénévent contre un morceau de terre limitrophe des États romains, si le Bourbon de Naples le désirait.

Le 12 juin 1815, Consalvi pouvait écrire à Pacca : « Le Seigneur a enfin couronné d’un heureux succès les efforts du Saint-Père. Huit provinces et une principauté reviennent sous le domaine du Saint-Siège. Le pontificat de Pie VII comptera parmi ses gloires celle d’avoir recouvré ces provinces en un temps où tout semblait rendre la chose impossible[1]. »

Les historiens, jusqu’ici, imputaient au bon vouloir de la Russie et de la Prusse le l’établissement du pape Pie VII dans ses États[2]. La publication du P. Rinieri témoigne, d’une façon décisive, qu’en dépit des bourrasques qui parfois s’élevèrent entre Metternich et Consalvi, le meilleur auxiliaire du cardinal dans son difficile labeur fut le chancelier d’Autriche[3]. Il y eut des heures où Consalvi et Pacca se défièrent de Metternich : leurs défiances furent toujours d’assez brève durée. Mais quelque gratitude qu’il ressentît pour l’aide de Metternich, Consalvi s’attachait toujours, dans ses lettres, à ne jamais exagérer la portée du lien qui devait unir l’Autriche et le Saint-Siège ; et l’on admire avec quel tact avisé le pouvoir pontifical, même favorisé des bienfaits de l’Autriche, préserva son autonomie contre les indiscrètes tentatives dont la Monarchie apostolique, tout près de nous encore, a paru garder l’habitude. Dans quelle mesure le Saint-Siège devait-il adhérer à la Ligue italique que projetait Metternich dès le début du Congrès de Vienne ? Dans quelle mesure devait-il accepter, dans quelle mesure décliner, cette sorte de connubio politique auquel Metternich invitait Consalvi lorsqu’il lui disait

  1. Rinieri, V, p. 704-705.
  2. Ibid., V, p. XLVI.
  3. Dans le volume où il a commenté cette passionnante correspondance des deux princes de l’Église, le P. Rinieri nous semble avoir pour l’Autriche, même lorsque d’aventure il est contraint de lui donner tort, des trésors d’indulgence. Lorsque Consalvi, constatant en Autriche la survivance des vexations joséphistes contre l’Église, écrit à Rome : « Les choses ici sont cent mille fois pires que dans les plus mauvais temps en France ; » lorsque Severoli, lorsque Pacca, blâment dans leurs lettres l’Autriche pour telles démarches de politique religieuse « dont on ne vit pas même l’analogue sous le règne de Napoléon, « le P. Rinieri semble gêné : « Il faut naturellement admettre, dit-il en note, que dans toutes ces lamentations, il y a quelque exagération ; le fond cependant était incontesté (IV, p. 349). » L’historiographie ecclésiastique doit compter, plus que toute autre, avec les critiques malveillans ; et certes, il s’en trouverait, si cette tendance s’accentuait, pour dire que le souvenir des services temporels rendus par l’Autriche au Saint-Siège est comme un voile dont on se plairait à couvrir les ridicules et les méfaits de l’esprit joséphiste, et les ruines qu’un tel esprit entraîna pour l’Église. En quoi ces critiques se tromperaient ; car, à notre sens, l’attitude du P. Rinieri s’explique beaucoup plus simplement par un instinct naturel de réaction contre les habitudes de certains historiens italiens dont l’équité envers l’Autriche est en général le moindre souci. Mais pourquoi le P. Rinieri, si expert souvent à plaider les circonstances atténuantes pour l’Autriche, n’en fait-il jamais bénéficier la France de la Révolution, de l’Empire et même de la Restauration !